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L’OMBRE DU BEFFROI

Il pouvait être trois heures du matin, quand Mme  Emmanuel s’éveilla en sursaut. Quelqu’un était penché sur elle et la regardait dormir : c’était Ondine.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle. Où sommes-nous ici ?

— Je me nomme Mme  Emmanuel, Madame, répondit la femme. J’ai été engagée par M. Fauvet pour prendre soin de la petite.

— Marcelle est-elle malade ?

— Non, Madame. Elle pleurait tellement que M. Fauvet ne savait qu’en faire. Mais… vous êtes malade, trop malade pour quitter votre lit !

— Oui, je suis malade, et c’est l’heure de prendre mes remèdes, dit la pauvre malheureuse, en se versant une nouvelle dose de morphine. Ayez bien soin de ma petite Marcelle, Mme  Emmanuel !

Quand on arriva à Québec, Ondine était encore sous l’effet de la morphine et Henri pleurait franchement, ce qui lui attira les sympathies de ceux qui le voyaient, et qui étaient loin de se douter que sa femme, si jeune et si belle, fut si dégradée.

Durant la nuit, Ondine eut de terribles crises d’hystérie, pendant lesquelles elle répétait sans cesse le nom de Monique. On fit venir le Docteur Nippon, qui essaya, mais inutilement, de la calmer.

Ce n’est que vers le matin que la jeune femme se calma un peu et qu’elle finit par s’endormir, d’un sommeil naturel, cette fois.

Mme  Emmanuel ne quitta pas le Nid, où elle fut engagée comme cuisinière, Prospérine étant partie. Nap resterait, lui aussi, et on trouverait bien à l’employer autour de la maison. Rose en avait assez d’avoir soin d’Ondine et de la petite Marcelle.

Deux jours après leur retour au Nid, eut lieu le baptême de l’héritière des Fauvet. Elle reçut les noms de Marie, Paule, Marcelle, Paule étant le prénom de Mme  de Bienencour.

Il y avait un mois qu’Ondine était de retour chez elle, quand son mari lui remit une lettre venant de Febro.

— Tiens, Ondine, lui dit-il, une lettre de Febro. Je l’ai ouverte, pensant que tu n’y aurais pas d’objections.

Ondine sentit tout son sang se glacer dans ses veines : une lettre de Febro, et Henri l’avait lue !… Febro avait-elle fait allusion à la mort de la petite Monique et au drame qui s’était déroulé chez elle ?…

Les yeux agrandis de frayeur, elle regardait son mari, et celui ci la vit devenir soudainement très pâle. Pourquoi sa femme avait-elle l’air de le craindre ?… Henri ne comprenait pas, car, malgré toute la peine qu’elle lui causait, jamais il ne lui avait dit un mot plus haut que l’autre. Pourtant, il ne pouvait pas se tromper ; Ondine le craignait ; ne s’en était-il pas aperçu, là-bas, dans la maison de Febro ?

— Rose ! appela soudain Henri, car Ondine venait de perdre connaissance.



CHAPITRE VIII

ÉCHANGE DE LETTRE


L’évanouissement d’Ondine fut de courte durée. Quand elle revint à elle, ses premières paroles furent :

— La lettre ! Où est la lettre de Febro ?

Cette lettre ne contenait rien de compromettant ; elle était ainsi conçue ;

« Bien chère Mlle  Ondine,

« Voilà déjà un mois que vous êtes partie et je ne vous ai pas encore écrit pour vous remercier du trop généreux cadeau d’argent que vous m’avez laissé, avant votre départ ; je l’ai trouvé… là où vous l’aviez mis. Ce cadeau m’a été d’autant plus utile, chère Mlle  Ondine, que je suis mariée avec Cyril Florentin, depuis deux semaines.

« J’aimerais beaucoup vous écrire une longue lettre, une lettre importante et remplie de nouvelles de toutes sortes ; mais je me vois obligée de remettre ce plaisir à un autre jour. La semaine prochaine probablement, je vous écrirai longuement.

« J’espère que vous êtes en bonne santé, ainsi que M. Fauvet et la mignonne Marcelle ?

« Veuillez croire toujours au dévouement et à la fidélité de

« Votre servante,
« Febro Florentin ».


Ainsi, Febro avait une lettre longue, importante et remplie de nouvelles à écrire !… Cette lettre, il fallait empêcher qu’elle l’écrivit… Febro ne manquerait pas de faire allusion à ce qui s’était passé chez elle, et c’est Henri qui apportait toujours à Ondine ses lettres. Même, supposant que sa femme ne pouvait avoir de secrets pour lui, il lui arrivait assez souvent d’ouvrir les lettres de sa femme. Ciel ! S’il fallait qu’il ouvrit la lettre promise par Febro ! S’il fallait qu’il apprit ce qui avait eu lieu ! S’il fallait que, par un mot, Febro lui inspirât le soupçon, sa vie, à elle, Ondine, deviendrait intolérable. Henri ne lui avait-il pas dit, un jour, tout dernièrement :

— Tu sais, Ondine, je puis tout pardonner, excepté l’hypocrisie ou le mensonge.

Ondine résolut d’écrire immédiatement à Febro et de la mettre sur ses gardes. Elle irait poster sa lettre elle-même, aussitôt qu’elle serait écrite. Elle écrivit donc ce qui suit : « Bonne Febro,

« Je viens de recevoir ta lettre, que mon mari m’a remise lui-même, après l’avoir ouverte et en avoir pris connaissance. C’est te dire que tu devras, quand tu m’écriras, ne faire aucune allusion au… passé. À quoi sert d’ailleurs ? Ce qui est fait est fait, et je n’en suis plus à me faire d’aussi amers reproches concernant la mort de ma petite jumelle Monique… Je ne l’ai pas fait exprès. Sans doute, je suis coupable d’avoir pris de la morphine, ce soir-là, et d’avoir été ainsi la cause de la mort de mon enfant, mais… Aujourd’hui, je me demande si je n’aurais pas dû écouter tes conseils, Febro, et avouer à mon mari que j’avais mis au monde deux petites filles jumelles, dont l’une venait de mourir de la pneumonie. Je n’en ai rien fait, et maintenant, il est trop tard pour avouer quoique ce soit, à propos du drame qui s’est déroulé chez-vous. Monique est morte, pauvre chère petite ; elle est un ange au ciel. Ce serait inutile et cruel d’attirer sur moi le courroux de mon mari en écrivant des choses qui pourraient lui inspirer des soupçons, n’est-ce pas ? Jamais Henri ne me pardonnerait, jamais ! S’il pouvait s’imaginer que, pendant la demi-heure qu’il a passé