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L’OMBRE DU BEFFROI

lant à son compte. Cyp était âgé de douze ans.

Une foule joyeuse avait assisté au départ du Castel-Roulant, et avait souhaité bon voyage aux châtelains du castel. Foule sympathique d’ailleurs, car les Fauvet étaient beaucoup aimés, et plus d’un désignait Marcelle du nom de : « Petit rayon de soleil de la banlieue ».


CHAPITRE X

LA CLOCHE QUI TINTE


Ce n’est pas notre intention de suivre pas à pas, pour ainsi dire, nos aventuriers. Le voyage se faisait agréablement et lentement. De Québec à Montréal, la distance fut parcourue en douze jours, car on s’arrêtait aux endroits pittoresques, sur le bord du majestueux fleuve Saint-Laurent, du lac Saint-Pierre, etc., et on y passait quelques heures, voire même, une journée entière parfois.

Henri Fauvet ne regrettait pas d’avoir cédé au caprice de Marcelle ; c’est qu’on voyageait en prince, dans le Castel-Roulant. Dolorès chantait le jour entier, tant elle était heureuse. Quant à Marcelle, c’était la réalisation de son plus beau rêve ; c’est tout dire, n’est-ce pas ? Rose, Mme  Emmanuel, V. P. et Cyp s’étaient vite faits à cette vie de saltimbanques, et ils s’acquittaient de leur service à bord du Castel-Roulant, comme s’ils eussent été au Nid.

Les chevaux, Stella et Phébée n’avaient pas l’air d’être du tout fatigués ; s’ils eussent pu parler, peut-être auraient-ils exprimé leur satisfaction de ce voyage. Quant à Mousse, si on pouvait en juger par ses aboiements joyeux, ça lui allait très bien ce genre de vie.

Il y avait plus d’un mois qu’on cheminait ainsi, quand on arriva à la maison de Febro. Contrairement à ce qu’avait pensé Henri Fauvet, la maison « tenait encore debout » ; même, elle avait été réparée, tout dernièrement. Seulement, elle était inhabitée. À travers les vitres des fenêtres, on put voir que les meubles avaient été enlevés, lors du départ de Cyril Florentin, probablement.

Henri Fauvet montra à Marcelle la salle où elle était née, la cuisine, etc. On passa toute la journée et toute la nuit sur le terrain, soupant sous le saule pleureur, et n’abandonnant les alentours que le lendemain, dans la matinée.

Marcelle vit, aussi, le pont, près duquel Henri Fauvet avait rencontré Ondine, pour la première fois, et même, on soupa en cet endroit.

— Désires-tu continuer plus au nord, Marcelle ? demanda Henri à sa fille.

— Non, père. Retournons sur nos pas. J’aimerais que nous campions, pendant une semaine ou deux, à cet endroit pittoresque entre tous, sur les bords de cette petite rivière… vous savez ?… Là-bas, en pleine forêt ?

— Oui, je sais, Marcelle ! Tu as beaucoup admiré cet endroit, et nous y camperons sûrement. En route, alors !

— En route !

Quand on eut atteint l’endroit désiré, on prit des mesures pour y passer plusieurs jours.

— Père, dit Marcelle, cette belle rivière, sur les bords de laquelle nous sommes, je ne sais si elle a un nom ?

— Je ne sais pas, ma chérie.

— Moi, j’aimerais à lui donner un nom… « La Rivière des Songes » ; voulez-vous, nous la désignerons ainsi ?

— C’est entendu, répondit Henri Fauvet, en souriant. En ce moment, nous campons au bord de la Rivière des Songes. T’en souviendra-tu, Dolorès ?

— Oh ! oui, M. Fauvet, je m’en souviendrai, répondit Dolorès.

L’endroit où l’on s’installa était très pittoresque, très sauvage : ce n’étaient que rochers, affectant les formes les plus variées, au pied desquels ondulait doucement la Rivière des Songes. Comme on allait y passer un certain temps, on dressa une tente, à côté du Castel-Roulant ; cette tente serait réservée à Henri Fauvet, V. P. et Cyp, la voiture restant à Marcelle, Dolorès et les deux servantes.

Il y avait trois jours qu’on campait ainsi, quand, un après-midi, survint, sur la route, un cavalier. C’était un jeune homme. Son cheval allait lentement, tandis que celui qui le montait semblait examiner avec intérêt le Castel-Roulant.

— Oh ! s’écria Dolorès, en apercevant le jeune homme, de loin. J’ai une idée, Marcelle ! Tu vas voir ! Nous allons rire !

Avec un éclat de rire, elle entra dans le Castel-Roulant, pour en sortir bientôt, portant, drapé autour de sa tête, un tapis de table au dessein bigarré et aux brillantes couleurs.

— Où vas tu, Dolorès ? demanda Marcelle. Et pourquoi t’es-tu accoutrée ainsi ?

— Laisse faire ! répondit Dolorès, qui riait jusqu’aux larmes.

Le jeune cavalier passait devant le campement, quand Dolorès, s’avançant sur la route, dit, d’une voix qu’elle essaya de rendre nasillarde :

— Mon bon monsieur, désirez-vous que je vous dise la bonne aventure ? Je le ferai… si vous y mettez le prix.

— Certainement ! Certainement ! répondit le jeune homme, en souriant, d’un air fort amusé. Puis il tendit la main droite, sur laquelle il déposa une pièce de monnaie.

— Monsieur, dit Dolorès, je connais l’avenir, et je vous prédis que deux étoiles surgiront à l’horizon de votre vie, deux étoiles, brillantes et belles ; mais l’une d’elles…

— Dolorès ! cria Henri Fauvet, qui, à ce moment, arrivait sur la scène. Mais, ma pauvre enfant…

— Je vous en prie, Monsieur, dit le jeune étranger, ne grondez pas votre jeune fille ! J’ai été beaucoup amusé, vous savez !… Mlle  Dolorès, reprit-il, en s’adressant à cette dernière, je vous aurais vraiment prise pour une bohémienne, diseuse de bonne aventure, vous le pensez bien, n’eut été que j’ai vu passer le Castel-Roulant, il y a à peu près quinze jours, et je savais que cette roulotte ne contenait pas des saltimbanques… Mais, permettez que je me présente, Mademoiselle et Monsieur ; je suis votre plus proche voisin, car je ne demeure qu’à cinq milles de cet endroit, et je me nomme Raymond Le Briel.

— Ah ! fit Henri Fauvet. C’est à vous, alors, cette magnifique propriété que nous avons vue, en passant : l’Eden ?

— Oui, Monsieur, l’Eden est ma propriété.

— Je suis heureux de faire votre connaissance, M. Le Briel, dit Henri Fauvet.

— Peut-être aurai-je l’heureuse chance de