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L’OMBRE DU BEFFROI

le moins désagréable possible, on sait pourquoi elle désire tant retourner là-bas.

— Oui, répondit Gaétan. Mlle Fauvet laisse, pour ainsi dire, son cœur dans le nord ; elle n’est parfaitement heureuse que quand elle est au sein de l’agreste nature.

— Ah ! Alors, vous savez, Gaétan, mon cousin ! s’exclama Iris, d’un ton qu’elle parvint à rendre innocent de toute insinuation.

— Je sais… quoi, cousine Iris ? demanda Gaétan.

— Vous savez que Mlle Fauvet laisse son cœur dans le nord, et que M. Le Briel, le plus proche voisin des Fauvet…

— Le Briel ! s’écria Gaétan. Serait-ce Raymond Le Briel, ce voisin de Monsieur et Mademoiselle Fauvet ?

— Raymond Le Briel… Oui, c’est bien cela. On dit qu’ils se marieront dans le courant de l’été prochain.

— Que voulez-vous dire ? Qui va se marier ?

— Mais… Mlle Fauvet et M. Le Briel. Vous ne le saviez donc pas ?

— C’est une nouvelle pour moi, répondit froidement Gaétan ; ce sera aussi une nouvelle pour Mme de Bienencour, j’en suis sûr.

— Y a-t-il quelque chose à redire, sur le compte de M. Le Briel, Gaétan, mon cousin ?

— Si Raymond Le Briel n’a pas changé de caractère, s’il est encore tel que je l’ai connu, au collège, c’est un des plus estimables garçons que je connaisse !

— Eh ! bien, s’il en est ainsi, Gaétan, mon cousin, soyez assuré que M. Fauvet a dû faire l’impossible pour l’encourager à courtiser sa fille… Pauvre Mlle Fauvet ! Si jolie, si admirée ; mais, tout de même, si à plaindre !

— À plaindre, dites-vous ?

— Je ne vous apprendrai rien en vous disant que M. Fauvet, qui adore sa fille, craint, continuellement pour la raison de celle-ci, fit très méchamment Iris.

— Je ne comprends absolument rien à votre langage, Mlle Claudier, répondit Gaétan, d’un ton indigné ; veuillez vous expliquer.

— Vraiment ! Vous ne savez pas ! cria Iris, en levant les yeux au plafond et simulant un grand étonnement. Mais… Mme Fauvet, la mère de Marcelle, était folle, depuis deux ou trois ans, quand elle est morte. On la faisait passer pour une invalide… Cependant, ceux qui…

— Je ne sais pas qui vous a si bien renseignée, dit Gaétan, en se levant d’un bond, le visage rouge de colère. Pour ma part, je n’aime pas entendre discuter la famille de la plus charmante jeune fille présente, ici, ce soir. Au revoir, Mlle Claudier.

— Vous m’en voulez, Gaétan, mon cousin ? Ah ! Vous ne comprenez donc pas que c’est parce que je vous estime plus que tous au monde que je vous avertis de ce qui en est. Oubliez Mlle Fauvet ! Oubliez-la ! Elle est la fiancée de M. Le Briel ; de plus, elle est menacée…

— Taisez-vous ! Oh ! taisez-vous, cria Gaétan, puis il quitta hâtivement Iris.

Iris Claudier ignorerait toujours, probablement, qu’elle avait manqué deux danses, ce soir-là, résultat de sa conversation avec Gaétan. Quand il quitta la secrétaire de sa tante, il alla droit au groupe formé de Dolorès, Yolande, Jeannine, Gaston, Réal et Léon. Son visage portait encore l’empreinte d’une grande colère, et ses amis le remarquèrent, sans oser faire de commentaires, cependant.

— Allons ! dit Léon Martinel. À mon tour maintenant d’aller danser avec Mlle Claudier ! Il se disposait à se diriger vers la jeune fille, lorsque Gaétan lui dit :

— Je n’irais pas, à votre place, Martinel ! Mlle Claudier… je crois que c’est une sorte de serpent ; je sais bien que je viens de recevoir une de ses morsures.

— Mon cher ! s’écria Léon. Qu’y a-t-il ?

Mlle Lecoupret avait raison, reprit Gaétan, cette personne est méchante. Ne nous occupons plus d’elle ; c’est encore ce qu’il y a de mieux à faire… Et dire que c’est cette exquise jeune fille, Mlle Fauvet, qui nous a demandés de l’inviter à danser !…

— Ah ! tiens, voilà Mlle Fauvet, au bras de son père, dit Réal.

En effet, Marcelle, souriante, et aussi jolie qu’au commencement du bal, s’approchait d’eux, et Henri Fauvet dit, s’adressant à Dolorès ;

— Nous allons partir, Dolorès, ma fille. Marcelle est quelque peu fatiguée. Mme de Pont-Joly t’a confiée à moi ; nous allons te ramener à l’hôtel avec nous.

— C’est bien. M. Fauvet, je suis prête à vous accompagner, répondit Dolorès.

Pendant que Marcelle et Dolorès étaient à se préparer pour partir, Henri Fauvet causa avec les jeunes gens, et quand on se quitta, il avait été entendu qu’on se rencontrerait, tous ensemble, à l’hôtel… où les Fauvet s’étaient retirés, pour un thé que Marcelle désirait donner à ses amis, le dimanche suivant.


CHAPITRE V

LE RÉCIT DE DOLORES


Deux jours après le bal de Mme de Bienencour, Gaétan alla faire une longue promenade à pied. La vie sédentaire ne lui allait guère, habitué qu’il était aux longs cheminements. Il prit donc une des rues de la ville, aboutissant à la banlieue, et il se mit à marcher à grands pas. Le temps était splendide ; une de ces belles journées d’hiver, où le soleil réjouissant semble consteller de diamants la blanche neige.

Soudain, Gaétan ralentit le pas, car il venait d’apercevoir deux jeunes gens, qui marchaient, en sens inverse, et il les reconnut, de loin : c’étaient Dolorès Lecoupret et Gaston Archer.

— Tiens ! M. de Bienencour ! s’exclama Dolorès, quand ils se furent rejoints tous trois.

— Bonjour, Mlle Lecoupret ! dit Gaétan. Comment vous portez-vous ? Vous n’êtes pas trop fatiguée, après le bal de tante Paule ? Comment va, Archer ? ajouta-t-il, en s’adressant à Gaston.

— Je ne suis pas fatiguée du tout, répondit Dolorès. Je disais à M. Archer, tout à l’heure, que je voudrais qu’il y eut un bal tous les soirs !

Gaétan et Gaston sourirent, puis, tous trois reprirent le chemin de la ville.

— Vous en seriez vite lasse, Mlle Lecoupret, dit Gaston, répondant à la remarque que Dolorès venait de faire, à propos de bals.

— Dans tous les cas, je n’ai ressenti aucune fatigue, après le bal de Mme de Bienencour,