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L’OMBRE DU BEFFROI

sence de la rose, on aspire son parfum et on l’apprécie.

— Comment vous portez-vous, Mlle  Lecoupret ?

— Je me porte bien, merci, M. Le Briel, répondit Dolorès. Vous ne passez pas tout droit, assurément ?

— Il le faut ! Mais, croyez-le, je le regrette infiniment. Tout le monde est en bonne santé, au Beffroi ?

— Excellente. M. Fauvet est absent, depuis ce matin ; je l’attends, d’une minute à l’antre maintenant, et Marcelle est allée faire une promenade en chaloupe.

— Alors, elle sera bientôt de retour, sans doute, car nous allons avoir de l’orage, dit Raymond, d’un ton inquiet.

— Puisque vous vous dirigez vers l’ouest, vous allez longer la Rivière des Songes sur un assez long parcours, dit Dolorès. Si vous voyez Marcelle, dites-lui, s’il vous plait, de revenir tout de suite, car je commence à être inquiète. Elle est partie seule, avec son chien Mousse.

— Je m’acquitterai fidèlement de votre message, si j’ai l’heureuse chance de voir Mlle  Fauvet, assura Raymond, puis, ayant salué la jeune fille, il continua son chemin.

Mais il eut beau observer attentivement la Rivière des Songes, il ne put apercevoir Marcelle, et il dut enfin abandonner les rives de ce cours d’eau pour piquer en pleine forêt.

Ayant terminé ses affaires à sa satisfaction, chez le fermier, Raymond reprit le chemin de l’Eden. À peine eut-il parcouru quelques arpents cependant, qu’il arrêta son cheval et se dit :

— J’y songe ! En faisant un détour de moins d’un quart de mille, j’arriverais en face de la Cité du Silence… J’ai bien envie de me risquer… Un être humain habite là, sûrement, et… J’y vais !

Quoique le tonnerre commençât à gronder sourdement, dans le lointain, et que Neve dressât ses fines oreilles et renâclât parfois, de frayeur, Raymond se dirigea vers la Cité du Silence, en face de laquelle il arriva, au bout d’une dizaine de minutes.

— Vraiment, se dit-il, en regardant la masse rocheuse, aux formes si fantastiques, c’est aussi impressionnant que quand on la voit pour la première fois… Mais… évidemment, je me suis trompé, personne n’habite la Cité du Silence… Allons ! Reprenons le chemin de l’Eden ! Le tonnerre va toujours s’approchant et Neve commence à donner des signes de frayeur. Si l’orage me prend en route, je m’arrêterai au Beffroi, car ma monture n’est pas des plus sûres, sous les éclats de la foudre.

Jetant un regard d’adieu sur les environs, Raymond aperçut, tout à coup une chose qui le cloua sur place : sur l’un des rochers, entre « l’hôtel de ville et le clocher » pour citer Dolorès, il venait d’apercevoir… Marcelle… Non, il ne rêvait pas… Marcelle était là, entre ces rochers… Quelle imprudence !… Et l’orage, qui s’apprêtait à fondre sur eux !… Essuyer un orage électrique en un tel endroit… c’était presqu’un suicide !…

Oui, Marcelle l’avait dit qu’elle retournerait à la Cité du Silence ; mais, qui eut pu s’imaginer qu’elle y retournerait seule et sans escorte… Ne se trompait-il pas, cependant ?… Impossible ! Il avait reconnu, quoique dans l’espace d’un éclair, celle qu’il adorait… Sa belle et luxuriante chevelure, qu’elle aimait encore à porter flottante sur ses épaules, sa simple robe blanche, retenue à la taille par un ceinturon de couleur… C’était bien elle !…

Comment était-elle parvenue là ?… Le lac, dans lequel se mirait la cité silencieuse semblait être très profond… Mais… attendez… Entre deux rochers, Raymond venait d’apercevoir une chaloupe, une chaloupe peinturée de blanc, comme celles qui appartenaient aux Fauvet… Dolorès l’avait dit : Marcelle était partie, en chaloupe, seule, avec son chien Mousse…

Se faisant un cornet de ses deux mains, Raymond appela :

— Mademoiselle Fauvet !

L’écho (et il est étrange parmi les rochers) l’écho donc répéta peut-être dix fois : « Mademoiselle Fauvet » ! et aussitôt, un énorme collie se montra et se mit à aboyer.

— Mousse ! Mousse ! Beau Mousse ! cria Raymond.

Alors, une main blanche et délicate se posa sur le collier du chien, l’entraînant hors de la vue du jeune homme.

— Que faire ?… se demanda-t-il. Si Neve pouvait traverser ce lac à la nage… mais ce serait folie de nous risquer tous deux… Oh ! pouvoir franchir cette pièce d’eau et entraîner Mlle  Marcelle, de force, si nécessité il y avait, la mettre en selle avec moi et la ramener, à la course, chez elle !

— Mademoiselle Fauvet ! cria-t-il, de nouveau.

Mais seuls l’écho et les aboiements du chien lui répondirent… Pour quelle raison la jeune fille se taisait-elle ?… Pourquoi ce mystère ?…

— Qui me dira ce que je dois faire ? se demandait-il. Que décider ?…

Neve décida pour lui. Un formidable coup de tonnerre, accompagné d’un fulgurant éclair, venait de traverser l’espace ; le cheval, fou de peur, se dressa tout droit, il tourna sur lui-même, et partit, le mors aux dents, dans la direction de l’est. En vain Raymond essaya-t-il de l’arrêter ; le cheval, aveuglé par la frayeur, allait toujours à fond de train. La pluie tombait par torrents maintenant, et bientôt, la grêle se mit aussi de la partie. Le jeune cavalier avait peine à se tenir en selle ; il longea d’affreux précipices, escalada des rochers à pics et glissants comme des miroirs, sur cette bête affolée.

Trempé jusqu’aux os, frissonnant sous la pluie et la grêle, il arriva au Grandchesne, dont la barrière était ouverte. Neve franchit cette barrière et vint s’arrêter, blanche d’écume, soufflant comme une forge et tremblante de peur, près des marches conduisant à la porte d’entrée de la maison du Docteur Carrol.

— Ciel ! C’est M. Le Briel ! cria une voix.

Aussitôt, Karl Markstien parut sur la première marche, puis, à la course, il s’élança vers Raymond, car celui-ci venait d’osciller sur sa selle ; il avait perdu connaissance…

Quand Raymond revint à lui, il se vit couché dans un lit confortable, et, près de lui, il aperçut Mme  Carrol.

— Madame Carrol… murmura-t-il.

— Chut ! dit-elle, en souriant. Il ne faut pas