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L’OMBRE DU BEFFROI

— Ah ! je crois comprendre ! murmura Henri Fauvet.

En effet, il se rappela avoir vu, certaine nuit, l’Ombre du Beffroi. Peut-être cette ombre était-elle apparue à sa fille… Comme elle avait dû être effrayée !

Mais, cette frayeur, sans raison connue, de Marcelle, et la réponse plus ou moins équivoque de son père, devaient revenir, un jour, plus tard, à l’esprit de Gaétan et lui causer une indicible souffrance.

— Vraiment, dit Iris Claudier à l’oreille de Yolande Brummet, près de laquelle elle était assise, elle est, pour le moins,… étrange Mlle Fauvet, ne trouvez-vous pas ? Il y a quelques instants, elle était gaie comme pinson, jouant du piano ou dansant avec tous ; maintenant, la voilà triste, nerveuse et effrayée, à propos de… rien… Ces changements subits et sans causes apparentes, c’est très singulier… et il serait à croire…

— Que voulez-vous dire ? demanda Yolande. Vous avez l’air d’insinuer quelque chose contre Mlle Fauvet ? Qu’est-ce donc ?

— Oh ! peu de choses ! fit Iris, en haussant les épaules. Je la trouve… étrange, je le répète… comme si elle agissait sous l’effet de…

— C’est vous qui êtes étrange. Mlle Claudier ! dit Yolande, fort mécontente assurément. Tenez, je n’aime pas votre genre ; ayez donc la bonté de ne plus m’adresser la parole !

Gaétan, témoin invisible de cette conversation, se sentit envahi soudain d’un sinistre pressentiment et d’un horrible soupçon, et, cette nuit-là, il ne dormit guère, car, sans cesse se présentait à sa mémoire le contenu de la lettre anonyme qu’il avait reçue, il y avait quelques semaines.


CHAPITRE X

FIANÇAILLES SOLENNELLES


Le lendemain, il y avait grand brouhaha au Beffroi, car, ce soir-là, on célébrait solennellement les fiançailles de Dolorès et Gaston, puis il y aurait un banquet. Le Docteur et Mme Carrol avaient promis d’assister à cette fête, et quand ils arrivèrent, dans le courant de l’après-midi, ils furent reçus… comme on était toujours reçu, chez les Fauvet.

Raymond Le Briel était allé chez lui, ce matin-là. Chacun se proposait de donner un cadeau à la fiancée, et Raymond, n’ayant pas le temps de faire venir quoi que ce fut de Montréal ou de Québec, avait résolu d’offrir à Dolorès un secrétaire antique d’une grande valeur, prétendait-on. Ce secrétaire étant à l’Eden, il était allé le chercher, promettant d’être de retour à temps.

À quatre heures de l’après-midi, chacune et chacun, au Beffroi monta dans sa chambre s’habiller pour la cérémonie, qui devait avoir lieu à cinq heures et demie précises. Pour la circonstance, Rose avait repassé et pressé la robe blanche de Dolorès et elle y avait posé de la dentelle fraîche et du ruban frais.

La fiancée de Gaston, entrée dans sa chambre, commençait à se dévêtir, quand Rose arriva, portant à la main un grand carton.

Mlle Dolorès, dit-elle, M. Fauvet désire que je surveille moi-même votre toilette, et il vous envoie ceci, ajouta-t-elle, en désignant le carton.

— Qu’est-ce ? demanda la jeune fille.

— Je ne sais pas, Mlle Dolorès.

Hâtivement, Dolorès coupa les ficelles attachant le carton, et aussitôt, un cri d’admiration s’échappa de sa poitrine ;

— Oh ! La belle, belle toilette ! Voyez donc, Rose !

Une riche toilette, combinaison de satin, de tulle et de dentelle, dont les légères draperies étaient retenues par de mignons boutons de roses en satin était dans le carton. Il y avait aussi des souliers blancs, des bas de soie blancs et des gants blancs, allant jusqu’au coude.

Quand Dolorès eut revêtu sa riche toilette, elle alla frapper à la porte de l’étude de Henri Fauvet, et ayant reçu l’ordre d’entrer, elle accourut vers son bienfaiteur et entourant son cou de ses bras, lui donna un baiser.

— Cher, cher, cher M. Fauvet ! s’écria-t-elle. Quelle belle surprise vous m’avez faite en me donnant cette magnifique toilette !

— Je suis content de t’avoir fait si grand plaisir, Dolorès, répondit Henri Fauvet.

— Mais comment avez-vous pu commander une si riche toilette, tout à fait à ma taille, et sans m’en parler ? Voyez : ma robe me fait comme si on avait pris mes mesures !

— Rien de plus facile, ma fille, puisque toi et Marcelle vous êtes de la même taille.

— En effet ! dit Dolorès.

— Tu comprends, Mme de Bienencour et Marcelle étaient du complot ; ce sont elles qui ont consulté les catalogues, choisi les modèles, et le reste, et puisque tu es satisfaite…

Quelqu’un frappait à la porte de l’étude.

— Entrez ! dit Henri Fauvet. Ah ! c’est toi, Gaston !

Le jeune homme, en entrant, eut une exclamation d’admiration, en apercevant sa fiancée.

— Dolorès ! Ô Dolorès ! Que vous êtes belle !

— Asseyez-vous, tous deux, dit Henri Fauvet ; j’ai à vous parler, mes enfants. Gaston, continua-t-il, tu sais, n’est-ce pas, que Dolorès n’a pas de dot ?

— Je le sais, M. Fauvet, répondit, en souriant, le jeune homme.

— M’étant consulté avec Marcelle à ce sujet, nous avons décidé que Dolorès devrait avoir une dot. Donc, le jour de votre mariage (qui est fixé au 15 octobre, je crois) ? je donnerai à… ma seconde fille la somme de dix mille dollars.

— Dix mille dollars ! s’écrièrent les fiancés.

— Oh ! M. Fauvet, s’écria Dolorès, comment pourrais-je accepter pareille somme ? Dix mille dollars ! Mais, c’est une fortune !

— M. Fauvet, fit Gaston, je n’ai jamais pensé que Dolorès aurait une dot… mes parents non plus, d’ailleurs, et, vraiment, je ne sais que vous dire pour…

— N’en parlons plus ! dit le père de Marcelle. Rendons-nous au salon, sans retard ; nos amis nous y attendent. Allons !

— Mais, M. Fauvet, insista Gaston, votre extraordinaire générosité…

— Ne t’ai-je pas demandé de n’en plus parler, Gaston ?… Tiens, voilà Marcelle qui s’en vient nous chercher !

Dolorès accourut au-devant de son amie et lui donna un baiser.