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L’OMBRE DU BEFFROI

Tandis que Mme de Bienencour, aidée de Dolorès, prodiguait des soins à Marcelle, Iris Claudier s’approchait d’un groupe formé de Yolande, de Jeannine, d’Olga et de Wanda.

— Vraiment, dit-elle, en s’adressant à Yolande, nous ne savons jamais à quel moment nous allons être mis en émoi, par une de ces crises de Mlle Fauvet.

— Je vous ai défendu de me parler, vous ! répondit Yolande, en frappant le plancher du pied.

— N’empêche que c’est assez… étrange le Beffroi, qu’on aurait dû nommer plutôt le Domaine du Mystère, selon moi… Tout est mystérieux, dans cette maison, et on risque d’être éveillé brusquement, au beau milieu de la nuit, par une de ces… crises de Mlle Fauvet… Ces cris, ces…

— Seigneur, Mlle Claudier, dit Olga, si vous ne vous plaisez pas au Beffroi, rien ne vous y retient, j’en suis sûre, et je ne connais personne qui en mourait de désespoir s’il vous prenait fantaisie de retourner à Québec, par le prochain train.

— Marcelle a repris connaissance tout à fait, dit, à ce moment Dolorès, qui venait de s’approcher. Mais… qu’y a-t-il donc ?…

— Mon Dieu, Mlle Lecoupret, fit Iris, avec un rire désagréable, parce que j’ai osé dire que ces crises de Mlle Fauvet…

— Hein ?… Ces… quoi ?… Êtes-vous folle, Mlle Claudier ? Mlle Fauvet a eu peur de quelque chose ; voilà tout s’écria Dolorès. Marcelle a dû rêver, ajouta-t-elle, tournant le dos à Iris et s’adressant aux autres jeunes filles. Pauvre Marcelle !

— Il lui faudrait un calmant, à Marcelle, dit Wanda. Ah ! si père était donc ici !

— Oh ! je ne m’inquiéterais pas, à votre place, dit méchamment Iris. J’ai cru m’apercevoir que Mlle Fauvet s’y entendait très bien, en fait de… calmants, et qu’elle sait se doser… quand le cœur lui en dit.

— Que signifie ce langage ? fit Jeannine, en désignant Iris.

— Que voulez-vous dire, Mlle Claudier ? demanda Dolorès. Que désirez-vous insinuer, misérable folle ?

— Ah ! bah ! je sais ce que je dis, répondit Iris, en haussant les épaules. J’affirme que Mlle Fauvet…

— Et moi, j’affirme que vous êtes une sorte de vipère, fit Dolorès, pâle de colère, et je vais demander à M. Fauvet de vous chasser du Beffroi, dès demain.

— De cette manière, riposta Iris, avec un rire détestable, les secrets de cette maison resteront cachés pour tous.

— Je pense bien que vous êtes folle ! dit Olga. Tenez, ajouta-t-elle, en s’adressant à ses compagnes, allons voir comment se porte Marcelle ; ensuite, nous nous coucherons. Allons !

Toutes jetèrent sur Iris Claudier un regard de mépris, puis elles se dirigèrent vers la chambre de Marcelle.

Restée seule. Iris tourna sur le talon et elle se trouva en face de Gaétan de Bienencour. Elle comprit que le jeune homme n’avait pas perdu un seul mot de la conversation qui venait d’avoir lieu et son cœur en fut inondé de joie.

— Bonne nuit, M. de Bienencour ! fit-elle, d’un ton sarcastique, au moment où elle passait près de lui pour se rendre dans sa chambre.

Gaétan ne lui répondit pas. Il avait le cœur brisé, car il se sentait repris de ses soupçons à l’égard de celle qu’il aimait… N’avait-il pas été présent, tout à l’heure, quand Marcelle avait repris connaissance et n’avait-elle pas agi d’une manière fort étrange ?

— L’Ombre du Beffroi ! ne cessait-elle de répéter. L’Ombre du Beffroi ! Le moine ! Je l’ai vu, père ; il…

— Allons ! Allons, ma chérie ! avait dit Henri Fauvet. Tu as fait un mauvais rêve, tout simplement.

— Non, père… Je l’ai vu… le moine… Il était penché sur moi et me regardait dormir… L’Ombre du Beffroi ! L’Ombre du Beffroi !

Cette frayeur d’une ombre… Cette peur d’un rêve… Ce cri dans la nuit… Puis, les insinuations d’Iris Claudier… Cette fille s’était assurément aperçue de quelque chose… Lui aussi, d’ailleurs, avait été intrigué et il avait été rendu soupçonneux, la veille au soir. Alors que tous étaient censés s’être retirés dans leurs chambres, Gaétan était allé faire une petite promenade sur la terrasse, et il avait aperçu Marcelle, assise sur un banc. À la course, il s’était dirigé vers elle.

— Marcelle ! Ma bien-aimée ! S’était-il écrié. Mais elle s’était enfuie, à son approche et il y avait en quelque chose d’étrange dans ses yeux.

Fallait-il croire vraiment que cette exquise jeune fille avait hérité du vice de sa mère et que, elle aussi, prenait de la morphine ?… Non ! Non ! Il ne le croirait pas sur d’aussi légères preuves… Quant aux insinuations d’Iris, il n’allait pas s’y arrêter, n’est-ce pas ?… Cette personne n’était pas digne de foi. Dolorès avait raison : c’était une sorte de vipère… Elle haïssait Marcelle et la haine inspire les pires choses.

Gaétan songea à la lettre anonyme qu’il avait reçue… On sait quel cas on doit faire de ces sales missives, et ce n’est pas lui qui allait prêter foi à celle qui lui avait été adressée, n’est-ce pas ?…

— Eh ! bien, Gaétan, vas-tu passer le reste de la nuit debout ! demanda soudain Mme de Bienencour. Va te coucher, mon cher enfant ! Marcelle dort paisiblement, dans le moment ; sois sans inquiétude à son sujet.

— Merci, tante Paule, je vais me coucher. Je vous souhaite une bonne nuit et d’agréables rêves !

— Bonne nuit, mon neveu ! Bons rêves, à toi aussi !

À l’heure du déjeuner, alors que les invités des Fauvet étaient réunis dans la salle à manger, Dolorès entra et dit ;

— Marcelle dort, M. Fauvet. Elle dort si profondément que je n’ai pas osé la déranger.

— Tu as bien fait, ma fille, répondit Henri Fauvet. Déjeunons ! ajouta-t-il.

Vers la fin du repas, Raymond Le Briel annonça qu’il se voyait obligé de retourner chez lui, dans le courant de l’après-midi.

— Comment ! Vous songez à nous quitter ! Ce fut une protestation générale.

— Pour deux jours au plus, chers amis, répondit Raymond. Il y a des choses auxquelles il me faut voir ; mais aussitôt que je pourrai revenir, je reviendrai, n’en doutez pas !

— Oui, revenez, et le plus tôt possible ! dit Henri Fauvet. Nous ne serons pas au complet sans vous.