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LE BRACELET DE FER

Chapitre IX

HAINE


Delmas Fiermont était l’homme le plus heureux de la terre. On eut pu dire la même chose de Georges Trémaine, car Paul et Réjanne étaient fiancés depuis trois mois, et leur mariage devait avoir lieu le 30 du mois d’août, c’est-à-dire dans dix jours maintenant.

Six mois se sont écoulés, depuis les évènements racontés plus haut, et quand nous retrouvons les jeunes fiancés, ils sont à échanger le bon soir, à la porte de la résidence des Trémaine.

— À demain, ma Réjanne !

— À demain, Paul ! répondit Réjanne, en tendant la main au jeune homme.

— Je serai ici à onze heures, demain matin, pour notre chevauchée de chaque jour, Réjanne, promit Paul.

— Je serai prête, assura-t-elle, en souriant.

— Réjanne, fit Paul soudain, êtes-vous heureuse ?

— Heureuse ? Mais oui, sans doute, je le suis !

— Merci, ma bien-aimée ! Moi, je suis l’homme le plus heureux de la terre, depuis que nous sommes fiancés… après mon oncle Delmas, cependant, je le crois fermement, ajouta Paul, en riant d’un grand cœur.

— Cher Monsieur Fiermont !

— Savez-vous, Réjanne, dit Paul, d’un ton sérieux, je crois vraiment que mon oncle en mourrait de peine, si quelque chose survenait pour empêcher la réalisation de son rêve le plus cher… et le mien : celui de vous voir installée au « château » dans dix jours, et pour toujours.

— Il n’arrivera rien…

— Certes ! Il n’arrivera rien, bien sûr ! Je vous dis cela seulement pour que vous constatiez, une fois de plus, combien vous êtes aimée, ma Réjanne. Si j’y avais consenti, l’oncle Delmas aurait bouleversé toute la maison, car il prétend qu’elle n’est pas digne, telle qu’elle est, de vous recevoir. Afin de ne pas lui occasionner les ennuis et les dérangements que ce bouleversement entraînerait, je lui ai assuré qu’il valait mieux attendre que vous fassiez faire, vous-même, les changements que vous désirerez.

— Comme si le « château » n’était la plus luxueuse des demeures ! fit Réjanne, en riant. Je m’en contenterai, soyez-en assuré, tel qu’il est, Paul !

— Vous y serez heureuse, ma toute chérie, je vous le jure !…

— Je n’en doute pas, mon ami, répondit la jeune fille en souriant.

— À demain ! À l’heure habituelle, Réjanne !

— À demain ! À l’heure habituelle, Paul !

En entrant dans la maison, Réjanne entendit une voix, lui parvenant du salon, et elle fit une petite moue. Il y avait un visiteur, et ce visiteur n’était pas le très bienvenu, évidemment, du moins, selon Réjanne. Tout de même, elle entra dans le salon et à son arrivée, un jeune homme accourut à sa rencontre.

— Ah ! Anatole ! fit tranquillement Réjanne.

— Comment va, cousine Réjanne ? demanda Anatole Chanty, car c’était lui le visiteur.

— Merci, je me porte bien, répondit la jeune fille, d’un ton plutôt ennuyé que froid.

— Et la promenade, Réjanne ? demanda Georges Trémaine.

— La promenade a été agréable, mais longue, père, répondit-elle en souriant. Nous avons marché une distance de plus de trois milles, Paul et moi ; mais le temps est si beau, que nous nous en sommes à peine aperçus.

— Trois milles ! Comme vous devez être fatiguée, Réjanne ! fit Anatole, avec une intonation toute féminine.

— Je ne suis pas fatiguée du tout.

Ces paroles vinrent aux lèvres de la fiancée de Paul, mais elle se garda bien de les proférer ; au lieu de cela, elle dit :

— Fatiguée ? Je le suis un peu, je l’avoue. Conséquemment, si vous voulez bien m’excuser, mon cousin, je vais me retirer dans ma chambre.

Une ombre passa sur le front d’Anatole Chanty.

— Vraiment, Réjanne, dit-il, de sa voix flûtée, toujours si désagréable à entendre, je n’aurai pas la chance de jouir longtemps de votre présence ce soir ! Vous…

— Je ne savais pas que vous deviez arriver ce soir, rappelez-vous-le, Anatole… Et puis, je suis sorti avec mon fiancé, avec celui que j’épouserai dans dix jours ; ce à quoi vous deviez bien vous attendre. Bon soir !

— Demain avant-midi, peut-être pourrions-nous avoir une longue conversation ensemble, Réjanne ? J’aurais une infinité de choses à vous dire.

— Demain avant-midi ? Impossible ! Je sors à cheval avec M. Fiermont, répondit-elle. Mais vous pourrez nous accompagner, si vous le désirez.

Anatole se mordit les lèvres et il rougit. Réjanne le faisait-elle exprès pour l’offenser ; elle savait bien qu’il ne montait jamais à cheval !

Mais non, Réjanne avait proposé la chose sans y réfléchir. Elle n’aimait pas excessivement son cousin, il est vrai ; cependant, elle ne l’eut pas offensé volontairement.

Quelle aurait été la surprise de la fiancée de Paul Fiermont donc, s’il lui avait été donné de lire les pensées d’Anatole Chanty ; celui-ci, croyant que sa cousine l’avait blessé volontairement, à cause et à propos de Paul Fiermont, sentit sa haine envers ce dernier grandir en conséquence. Ce mariage entre Paul et Réjanne, ce n’était pas encore chose faite ; s’il n’en dépendait que de lui, Anatole, il ne se ferait pas du tout… Dans dix jours il pouvait se passer bien des évènements. Anatole irait aux renseignements ; il essayerait de découvrir ce qu’avait été la vie de cet aventurier qui se nommait Paul Fiermont, durant les sept ans qu’il avait passés à courir le monde…

— En attendant, se dit-il, ce soir-là, lorsqu’il se fut retiré dans sa chambre, je lui soufflerai le soupçon à Réjanne, et… nous verrons ce qu’il en résultera… Réjanne est une masse de préjugés, je sais ; rien de plus facile, conséquemment, que de la mettre en garde contre