Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
LE BRACELET DE FER

— J’ai voulu faire d’une pierre deux coups, dit le notaire Schrybe. Ayant affaire à mon vieil ami M. Fiermont, je me suis dit que j’en profiterais pour me rendre à Votre gracieuse invitation, Mlle Réjanne.

— Merci de tout cœur, dit Réjanne. Venez, M. Fiermont, et vous aussi, Notaire, je vais vous conduire auprès de mes parents ; ils sont là, dans le kiosque. Puis s’adressant à Paul, elle continua : Les courses à cheval vont bientôt commencer, Paul ; nous n’attendions plus que vous. Ensuite ce sera le concours de tir à l’arc. Venez ! Venez tous !

Les courses à cheval battaient bientôt leur plein. Au gagnant serait donné un fouet au manche serti de pierreries.

Ainsi que chacun s’y était attendu, c’est Paul Fiermont qui gagna la course, et ce n’était guère étonnant, n’est-ce pas ? Pendant sept ans, il avait littéralement vécu sur son cheval ; il y avait passé des jours entiers, voire même des nuits, y dormant, parfois, durant l’espace de milles et de milles, bercé doucement par le trot cadencé de sa monture.

Anatole Chanty avait senti grandir sa haine contre Paul, au triomphe de celui-ci. Mais il l’attendait au concours de tir à l’arc ! Ce garçon, qui n’eut pas touché, sans pâlir et trembler, à une arme à feu, ne craignait pas les flèches enrubannées d’un arc de fantaisie ; de plus, il était expert dans cette sorte de sport. L’heure du triomphe allait sonner pour lui ; petit triomphe, il est vrai ; mais Réjanne en serait témoin. Pauvre Anatole !

Une tête de cheval avait été dépeinte sur une planchette, et il s’agissait d’atteindre avec une flèche, le centre de l’œil droit. Il y eut bien des applaudissements et des éclats de rire, aux maladresses de certains concurrents ; mais on était là pour rire et s’amuser, et les maladroits riaient, plus fort même que les spectateurs, de leurs propres maladresses.

Enfin, ce fut le tour d’Anatole. Il s’avança au milieu des spectateurs, il tendit son arc et visa avec soin. Jamais il n’avait tant eu l’air d’une « petite demoiselle » qu’en ce moment, et plus d’un sourire fut échangé parmi les invités.

La flèche lancée par Anatole partit en sifflant, et elle arriva dans le coin de l’œil du cheval.

Il y eut de sincères applaudissements, cette fois, car c’était le meilleur coup qui eut été porté encore.

— Bravo, Chanty ! Bravo ! Bravo !

Anatole saluait de droite à gauche, comme une diva qui vient d’exécuter d’extraordinaires et difficiles trilles. Ses yeux se portèrent sur Réjanne, qui lui sourit amicalement,

— Fiermont ! Fiermont !

Paul aurait préféré ne pas prendre part à ce concours. Il savait qu’il était doué d’un coup d’œil infaillible, et que, s’il désirait lancer la flèche au centre même de l’œil du cheval, il y parviendrait, sans prendre la peine presque de viser. Plus d’une fois, il avait abattu, avec des flèches, des oiseaux, au vol.

Il hésita donc, lorsque son nom fut appelé ; ce qui fit qu’Anatole crut que Paul ne voulait pas se risquer, sûr qu’il était de faillir, devant sa fiancée. Il rit même tout haut ; ce rire sot, en même temps qu’insultant, parvint aux oreilles de plusieurs, et il provoqua, de la part de Paul, un haussement d’épaules, de la part de Réjanne, un froncement de ses fins sourcils.

— Fiermont ! Fiermont !

Ma foi ! Puisqu’on l’appelait à si grand cris, il n’allait pas se faire prier ; ce serait ridicule, à la fin. Et, quant à lancer une flèche, il prendrait la peine de viser, afin de faire honneur à sa fiancée.

Il s’installa à la place que venait d’occuper Anatole Chanty. Ayant tendu l’arc, la flèche arriva, ainsi qu’il l’avait prévu, au centre de l’œil du cheval.

Ce fut un triomphe, et Paul reçut, comme prix, des blanches mains de sa Réjanne, arc et flèches dorés.

Anatole Chanty vit rouge. Fou de colère et de déception, il osa s’avancer sur Paul, les poings crispés.

— Vous avez triché ! cria-t-il, le visage très pâle, les lèvres tremblantes.

— Triché ? fit Paul, sans s’émouvoir. Vous êtres parfaitement ridicule, mon pauvre M. Chanty !

— Vous… Vous… balbutia Anatole.

Il se préparait à éclabousser Paul d’injures, quand une main se posa sur son épaule, et la voix de Mme Trémaine dit :

— Mon cher Anatole !… Aurais-tu perdu la tête, par hasard ?… S’il te plaît me suivre ; j’ai affaire à toi.

Comme un bon petit garçon bien obéissant, Anatole suivit Mme Trémaine.

Des rires étouffés se firent entendre, et Renée de dire à Estelle :

— Bien sûr, le petit Anatole va recevoir une bonne volée de sa tante Jeanne !

— Et elle l’enverra se coucher sans souper ! ajouta Anne.

— Il l’aura bien mérité ! répondit Estelle, en éclatant de rire.

Réjanne entendit ces propos, qui la firent sourire, malgré elle ; mais elle se hâta d’annoncer que les rafraîchissements étaient servis. Elle conduisit ses invités à une autre extrémité du jardin, où, sous des tentes tricolores, des tables avaient été dressées, et bientôt, tous se délectaient des mets exquis que leur servaient les domestiques de La Solitude.

Chapitre XI

PRÉJUGÉ DE REJANNE


— Embarque ! Embarque !
Le temps est beau…
Glisse, ô ma barque,
Glisse sur l’eau !

C’est avec une joie exquise
Qu’on vogue sur le Saint-Laurent,
Tandis que ses vagues s’irisent
Des lueurs du soleil couchant.

Embarque ! Embarque !
Le temps est beau…
Glisse, ô ma barque,
Glisse sur l’eau !