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LE BRACELET DE FER

dres de Mlle Fiermont, répondit Paul, en désignant la vieille demoiselle. C’est Mlle Fiermont qui commandera ici, désormais.

— Bien, M. Paul ! dit Mme Jacquin. Puis se tournant vers Mlle Fiermont, elle inclina la tête et ajouta : Votre servante, Mademoiselle ! Après quoi elle quitta la pièce.

— Ô Paul ! C’est tout ce que put dire Mlle Fiermont.

— Vous verrez que nous nous arrangerons bien, vous et moi, tante Berthe, fit Paul, en souriant. Demain, vous pourrez vous rendre en voiture chez Mme Grondeau, y chercher vos effets. Je n’ose faire sortir les chevaux aujourd’hui, vous le comprenez. Cela vous va-t-il ?

— Merci ! Merci !

Ce mot est le seul, de notre langue, pour exprimer la reconnaissance ; mais c’est en pleurant de joie que Mlle Fiermont le dit et le redit ; de fait elle sanglotait presque, dans sa joie, lorsqu’elle quitta l’étude, pour se rendre dans sa chambre.

Lorsqu’arriva le Notaire Schrybe au « château », le lendemain midi, il fut quelque peu étonné d’y retrouver Mlle Fiermont. Celle-ci lui dit, alors qu’ils étaient seuls, tous deux, dans la bibliothèque :

— Notaire Schrybe, Paul m’a offert l’hospitalité au « château ». Je demeurerai ici avec lui, dorénavant. N’est-ce pas qu’il est bon ce cher Paul ?

— Ah ! Je suis bien heureux de ce que vous me dites, Mlle Fiermont ! répondit le notaire. Votre place est ici, c’est incontestable, et c’est là mon opinion depuis longtemps. Oui, je suis bien content, bien content !

— J’espère que Paul ne regrettera pas… commença la vieille demoiselle.

— Regretter ! Bien sûr que non !

— C’est si généreux de sa part !

— Sans doute ! Sans doute ! Et il mérite d’être félicité de la bonne idée qu’il a eue ; oui, l’idée est bonne et juste, selon moi, Mlle Fiermont.

— Pauvre Paul ! dit Mlle Fiermont au notaire. Il a une autre épreuve à supporter, de ce temps-ci, à part le décès de Delmas, je veux dire… Vous savez ce que je veux dire, Notaire ?… Mlle Trémaine…

— Oui, je sais. Pauvre Paul !

— Ah ! le voilà ! Je vous laisse ensemble tous deux ; nous nous rencontrerons à table, tout à l’heure. Au revoir, Notaire Schrybe ! Au revoir, Paul ! ajouta-t-elle, en se tournant vers le jeune homme, qui venait d’entrer dans la bibliothèque.

— Au revoir, Mlle Fiermont !

— Au revoir, chère tante Berthe !

Mlle Fiermont, en quittant la bibliothèque, se disait in petto, en songeant à la bonté de son « neveu » et aux aimables paroles du Notaire Schrybe :

— Vraiment, l’univers est rempli de grands cœurs et de belles âmes !

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

DEUXIÈME PARTIE

NILKA

Chapitre I

EN SOUVENIR DE L’OISEAU BLEU


Cinq mois s’étaient écoulés, depuis le décès de Delmas Fiermont.

Mlle Fiermont continuait à régner au « château », au grand plaisir et au grand soulagement des dames de la Banlieue. Si Paul était resté seul après la mort de son oncle, la maison eut été fermée, ce qui n’aurait pas fait l’affaire de l’élément féminin, surtout de celles qui avaient des filles à marier. En effet, aucune de ces dames n’eut osé aller rendre visite à un célibataire ; de là, que de chances perdues d’établir les jeunes filles des environs !

Paul Fiermont était, sans contredit, le meilleur et le plus riche parti de la province de Québec. N’avait-il pas hérité des millions de son oncle, de son « château », de ses propriétés, tant dans la ville de Québec que dans les régions du lac Saint-Jean ; ces dernières consistant en terrains à perte de vue, en moulins, en bateaux de cabotage, etc., etc ?

Paul Fiermont était, aussi, fort joli garçon, jeune, aimable, et recommandable en tous points ; de plus, il était… libre. La nouvelle de sa rupture avec Réjanne Trémaine s’était vite répandue ; d’ailleurs, on ne les voyait plus jamais ensemble ces deux jeunes gens, qu’on rencontrait sans cesse, avant le décès de Delmas Fiermont. Ce qui avait été la cause de la rupture entre les fiancés n’inquiétait et n’intéressait que peu de gens ; une querelle d’amoureux sans doute… et puis, ça n’avait pas d’importance, n’est-ce pas ? Ce qui importait c’était que le jeune millionnaire ne fut plus lié par aucune promesse… et chaque maman faisait des rêves d’or pour sa fille en âge de se marier.

Durant les cinq mois qui venaient de s’écouler, Paul avait eu l’occasion de rencontrer Réjanne deux fois seulement ; la première fois, quinze jours après la mort de son oncle, la deuxième fois, une semaine plus tard. En apercevant, de loin, son ex-fiancée, montée sur son cheval et accompagnée de Daniel, le jeune homme avait ralenti l’allure de sa monture ; mais Réjanne était passée près de lui sans le regarder, les yeux fixés devant elle ; elle ne daigna même pas reconnaître, par le moindre signe, le salut que Paul lui fit en passant. À leur deuxième rencontre, ce fut la même chose. Après cela il prit l’habitude de se diriger d’un autre côté, lorsqu’il sortait à cheval. Il le comprenait plus que jamais, Réjanne ne pouvait ni oublier, ni pardonner. Eh ! bien, il ne lui restait qu’à se résigner.

Pourtant, Réjanne Trémaine ne manquait pas de cœur ; le Notaire Schrybe avait raconté à Paul, alors qu’il était venu au « château », pour la lecture du testament de Delmas Fiermont, l’incident suivant :

Le lendemain du décès de l’oncle de Paul, le notaire était allé prendre un peu d’exercice sur la terrasse. Il était onze heures de l’avant-