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LE BRACELET DE FER

qu’un piano venait de résonner, au deuxième étage.

Aujourd’hui, les pianos ne sont plus des instruments de luxe. On ne songerait pas à acheter un ameublement de salon sans y inclure un piano ; ce dernier meuble est aussi essentiel, semble-t-il, qu’un canapé et des fauteuils. Chaque maison possède, de nos jours, un piano, un vitrola… sans parler du radio. Mais, ce récit se passait en 18…, et vraiment, il était assez surprenant d’entendre résonner les notes d’un piano dans ce quartier pauvre.

Une main légère se mit à jouer ce qui devait être la ritournelle d’une chanson ; c’en était une, et soudain, Paul entendit une voix souple et jeune chanter les couplets suivants :

L’OISEAU BLEU

— Dis, as-tu vu, mignonne,
Le petit oiseau bleu
Qui, sans cesse, fredonne
Sous la voûte des deux ?…
As-tu vu l’oiseau bleu ?
II
Aimes-tu, ma chérie,
Le charmant oiseau bleu,
Lorsque sa voix jolie
Lance un trille joyeux ?…
Aimes-tu l’oiseau bleu ?
III
Et, comprends-tu, mon ange
Ce que dit l’oiseau bleu ?…
Son langage est étrange ;
Mais combien merveilleux !
Comprends-tu l’oiseau bleu ?
IV
Dans toute la nature,
Ce que j’ai le mieux,
C’est la voix claire et pure
Du gentil oiseau bleu.
Que j’aime l’oiseau bleu !


Certes, ce n’était pas une grande cantatrice qui venait de chanter ; mais comme sa voix était fraîche et pure !

Celle qui venait de chanter avait mis tout son cœur dans ces simples couplets. Paul aurait aimé beaucoup pouvoir apercevoir la chanteuse ; elle devait être jolie, aussi jolie peut-être que l’Oiseau Bleu du promontoire, quoique, assurément, beaucoup plus âgée…

L’Oiseau Bleu du promontoire, qu’était-il devenu ?… D’autres annonces avaient paru dans les journaux, sans résultat. Alors, l’enfant ne devait pas habiter la ville de Québec… Pourtant, il était resté sous l’impression qu’elle demeurait à la ville ; ne lui avait-elle pas dit qu’elle n’était à la Banlieue qu’en passant ? Il est vrai que cela ne signifiait pas qu’elle demeurait à Québec…

— J’ai bien envie de faire des recherches, discrètement, s’entend, pour retrouver l’Oiseau Bleu, se dit Paul. Je ferai la chose très, très discrètement… D’ailleurs, elle n’est qu’une enfant, treize, quatorze, quinze ans tout au plus ; il n’y aurait donc rien de compromettant pour elle à ce que j’essaye de la retrouver la mignonne… Je crois que je…

— Vous m’avez fait demander, Monsieur ? Je suis Alexandre Lhorians, dit une voix soudain.

Chapitre III

ALEXANDRE LHORIANS


Paul leva les yeux sur celui qui venait de lui adresser la parole ; c’était un homme d’assez haute stature, à la chevelure blanche comme neige, à la moustache dito, aux traits réguliers ; un vrai visage de camée. Mais, cet homme n’était pas âgé ; ses cheveux et sa moustache avaient blanchi avant le temps, tout simplement, c’était évident. Quant à ses yeux… eh ! bien, ils étaient… étranges ; très bleus, très grands, ombragés de longs cils bruns, ce qui les faisaient paraître plus grands ! encore. Ces yeux étaient ceux d’un rêveur ! d’un visionnaire même. Cet homme devait mettre souvent le pratique de côté, pour se livrer à ses rêves, bien sûr. Alexandre Lhorians avait dû, souventes fois aussi, quitter la proie pour l’ombre. Ces yeux étaient ceux d’un distrait, ou d’un homme poursuivi d’une idée quelconque…

— Vous désirez me parler, Monsieur ?

La voix était plutôt agréable, quoique légèrement saccadée, comme celle d’une personne excessivement nerveuse.

— Oui, Monsieur, répondit Paul enfin. On me dit que vous réparez les horloges, à domicile ? Est-ce le cas ?

— Certainement ! répondit Alexandre Lhorians.

— Voici ma carte, fit notre jeune ami. Je demeure à la Banlieue, comme vous le voyez.

L’horloger jeta les yeux sur la carte et il lut :

« PAUL FIERMONT
Le « Château »
Banlieue, Qué. »


— Ah ! fit-il. Vous êtes le fils de M. Delmas Fiermont, décédé en août dernier ?

— Je suis son neveu, répondit Paul. M. Delmas Fiermont était célibataire.

M. Delmas Fiermont était un collectionneur d’horloges, je sais, dit Alexandre Lhorians. Je suis passé, plus d’une fois, à proximité du « château » et si je l’eusse osé, je serais arrêté, en passant, demander à votre père…

— Mon oncle, corrigea Paul.

— Oui, votre oncle… pardon ! Je lui aurais demandé donc, la permission de visiter sa collection d’horloges, car, moi aussi, M. Fiermont, je suis collectionneur d’horloges.

— Vous auriez dû céder à votre désir, M. Lhorians, celui d’entrer et de demander à mon oncle de vous laisser examiner sa collection, je veux dire. Vous auriez été le très bienvenu, je vous le certifie ; de plus, vous auriez rendu l’oncle Delmas excessivement heureux, en vous intéressant à sa collection…

— Combien je regrette alors, d’avoir résisté à la tentation ! s’écria en souriant, l’horloger.

— Mieux vaut tard que jamais, M. Lhorians, vous le savez, et si vous acceptez de venir chez