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LE BRACELET DE FER

— Je ne vous conseille pas de vous plaindre à l’aubergiste, Mademoiselle, cela créerait un joli scandale et…

— C’est la première fois qu’il m’arrive d’être insultée, depuis deux ans que je chante ici ! disait la jeune chanteuse d’une voix tremblante.

— Insultée !… Mais ce n’est pas du tout mon intention de vous insulter ! Je viens seulement m’offrir pour vous reconduire chez-vous, ce soir.

— Mon Dieu ! s’exclama l’Oiseau Bleu. Personne ne me délivrera-t-il par des importunités de cet homme !

Paul tourna la poignée de la porte et entra dans la pièce. Il vit que c’était une sorte de vestiaire. Debout, à l’extrémité d’une table sur laquelle des rafraîchissements avaient été servis, était l’Oiseau Bleu. À l’autre extrémité de la table et faisant face à la jeune fille, était Anatole Chanty : sur le visage de ce dernier s’étalait un sourire niais. La bouche en cœur, Chanty faisait, c’était évident, des efforts pour se rendre irrésistible.

À l’arrivée de Paul, l’Oiseau Bleu avait levé les yeux, et le jeune homme vit qu’elle l’avait reconnu, car un expression de soulagement parut sur ses traits. Anatole Chanty tournait le dos à la porte.

— Est-ce que vraiment vous refusez mon escorte, Mlle l’Oiseau Bleu ? demandait Anatole, d’un ton quelque peu gouailleur.

— Je vous ai demandé de sortir, Monsieur, répondit la jeune chanteuse.

— Sortir ? Non pas ! Je vais m’asseoir ici et attendre que vous ayez changé d’idée ; voilà !

Mais il n’eut pas le temps de s’asseoir, car, en un clin d’œil, Paul arrivait auprès de lui, et l’ayant soulevé de terre, le secouait par le collet, comme s’il eut été un chat.

Un frais éclat de rire retentit : c’était si comique aussi de voir malmener ainsi le jeune rustre, que l’Oiseau Bleu n’avait pu retenir son hilarité.

Lorsque Paul eut secoué Anatole Chanty à son goût, c’est-à-dire jusqu’à ce que les dents de celui-ci eussent claqué comme des castagnettes, il le remit par terre. Chanty, rouge de colère, et aussi probablement, à moitié suffoqué, s’avança vers Paul Fiermont, les poings serrés, « de vrais poings de jeune demoiselle », eut dit Paul.

— Ah ! fit-il, en apercevant à qui il avait eu affaire. Tiens ! ajouta-t-il, c’est vous, Monsieur l’aventurier ?

— Oui, c’est moi ! répondit Paul.

— Vous vous faites, à ce que je vois, le champion de l’Oiseau Bleu…

— Sortez ! dit simplement Paul, en désignant la porte.

— Eh ! bien, non, je ne sortirai pas, entendez-vous, Monsieur l’aventurier ? Du moins, je ne sortirai d’ici que quand ça me plaira.

— La porte est ouverte ; sortez ! répéta Paul.

— Je viens de vous dire, je ne sortirai pas, Monsieur l’aventurier, redit Anatole, convaincu qu’il était, de lancer la plus grande des injures à Paul Fiermont en le nommant ainsi.

Anatole Chanty se dirigea vers le fond de la pièce, où était une fenêtre entr’ouverte, car, malgré qu’on fut en hiver, il faisait une chaleur presqu’intolérable dans toutes les pièces de l’auberge.

— Vous refusez de sortir par la porte, n’est-ce pas ? fit Paul, en s’approchant d’Anatole Chanty, eh ! bien, vous allez sortir par la fenêtre !

Ce disant, il saisit Anatole par la taille et le jeta par la fenêtre.

Un cri retentit, et s’étant retourné, Paul aperçut l’Oiseau Bleu qui, pâle jusqu’aux lèvres, s’écria :

— Ô Monsieur ! Comment avez-vous pu faire pareille chose ?… Nous sommes au deuxième étage ici, et ce jeune homme…

Mais, entendant un léger bruit et s’étant tournée du côté de la porte, la jeune fille vit Mme Dupin, qui se tordait de rire.

Mme Dupin ! Comment pouvez-vous rire ainsi ? dit-elle, d’une voix tremblante. Ce jeune homme, que ce Monsieur vient de jeter par la fenêtre… peut-être s’est-il fracassé le crâne sur quelque pierre, en bas !

— Ne craignez rien, chère Mademoiselle, répondit la femme de l’aubergiste, en s’essuyant les yeux. Si je ris (ha, ha, ha !) c’est que c’est infiniment drôle !… La fenêtre de cette pièce ouvre sur une allée étroite où nous jetons les cendres des poêles, l’hiver durant. Or, celui que Monsieur, ajouta-t-elle, en désignant Paul, vient de jeter par la fenêtre, est arrivé sur un vrai lit de cendre. Que c’est drôle ! Que c’est drôle !

L’Oiseau Bleu sourit malgré elle.

— Il n’a pu se faire mal, voyez-vous, Mademoiselle, continua la brave femme ; mais, son habit de soirée doit être dans un bel état, dans le moment ! Cette bonne Mme Dupin riait jusqu’aux larmes.

Paul, s’étant approché de la fenêtre constata que Mme Dupin avait dit vrai : une vraie colline de cendre se voyait en bas. Il sourit. S’il eut fait jour, on aurait probablement distingué l’empreinte du corps d’Anatole Chanty sur la cendre. Ce dernier aurait piètre mine pour arriver à son hôtel ; c’était, en effet, très comique, ainsi que l’avait dit la femme de l’aubergiste.

— Maintenant, Mademoiselle, dit Mme Dupin, en s’adressant à l’Oiseau Bleu, je regrette infiniment d’avoir à vous dire que je ne pourrai pas aller vous reconduire chez-vous, ce soir. Nous venons de recevoir un message nous annonçant de vingt-cinq à trente personnes ; elles doivent venir prendre le réveillon ici, après un concert. Il faut absolument que je sois présente… Je ne sais vraiment que faire…

— Ne soyez pas inquiète à mon sujet, Mme Dupin, répondit la jeune fille.

— Joël ne devait-il pas venir à votre rencontre, Mademoiselle ?

— Oui, mais, évidemment, quelque chose l’en a empêché. Je n’ai pas peur de m’en aller seule, vous savez, Mme Dupin, répondit l’Oiseau Bleu, quoiqu’elle pâlit un peu, et que sa voix tremblant.

— Je n’aime pas cela, je veux dire que je n’aime guère vous voir retourner seule, dit la femme de l’aubergiste. Qui sait d’ailleurs, si le jeune homme que Monsieur vient de jeter