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LE BRACELET DE FER

tendait-il, avait été blessé par lui, la veille, et même, le Sauvage me montra une plaie qu’avait fait son tomahawk sur le cou de la bête. Je voulus lui faire entendre raison ; mais, au lieu de discuter la chose amicalement, il se rua sur moi, essayant de m’entraîner sur le bord de l’abîme. Nous étions à bien des milles d’ici, dans un endroit isolé et désolé, sur les bords du lac Huron. L’abîme près duquel nous nous débattions était très profond, ses parois très abruptes, surplombant le lac. À un moment donné, je crus que c’en était fait de moi, car le Sauvage me poussait de plus en plus près du bord. Je lui saisis le bras, que je tordis ; la douleur qu’il en ressentit lui fit lâcher prise, et il tomba dans le lac… Il ne revint même pas à la surface ; il dût s’assommer sur quelque rocher…

— Vous m’avez raconté ces faits déjà, dit le policier, et, encore une fois, je…

— Je sais ! Je sais ! C’est l’exacte vérité pourtant, je vous le certifie ! Aussitôt que le Sauvage eut disparu sous les flots, une vraie horde de peaux cuivrées se jeta sur moi, m’accusant hautement d’avoir tué le chef de leur tribu. En vain protestai-je ; on me garrotta, on m’emporta dans un sale wigwam, où, il y a trois semaines, vous vîntes m’arrêter.

— Si vraiment vous n’êtes pas coupable, Fairmount, répondit le policier, je suis peiné de ce qui vous arrive, d’autant que, jamais vous ne parviendrez à prouver que vous êtes innocent, jamais !

— Mon Dieu ! s’exclama le prisonnier.

— Moi, voyez-vous, reprit Peter Flax, j’ai reçu ordre de vous arrêter, pour le meurtre de Mollet-Nerveux, le chef Sauvage…

— Mollet-Nerveux… Oui, je me souviens que c’était là son nom.

— Je suis obligé de vous conduire au Cap Hurd, vous savez, Fairmount, et je vous y conduirai… si nous pouvons, une bonne fois, sortir de ces horribles dunes. En attendant, nous allons nous arrêter ici, et à l’abri de ce côteau, nous passerons la nuit. Je ne vous cacherai pas que je suis à moitié mort de fatigue. D’ailleurs, il est près de cinq heures du soir.

Bientôt, les deux hommes eurent établi un campement, puis le policier enleva la menotte, qu’il avait passée à son propre bras, et la glissa au poignet libre du prisonnier. Ensuite, il se mit à faire du feu et à préparer du thé, après quoi ils mangèrent.

C’est-à-dire que Paul Fairmount mangea. Quant à Peter Flax, il avala à peine quelques bouchées, mais il but une grande quantité de thé brûlant.

— J’ai assez soif ! dit-il. Je boirais, je crois, tout le lac Huron !

Lorsqu’ils eurent soupé, ils allumèrent leurs pipes. Le policier s’était, encore une fois, lié à son prisonnier. Pourtant, Peter Flax n’aspira que deux ou trois bouffées de tabac ; sa pipe s’éteignit, puis il s’endormit d’un profond sommeil.

— Cet homme est épuisé, se dit Paul Fairmount. Du train dont nous allons, nous n’arriverons pas de sitôt au prochain établissement… Moi, ça m’est égal : je n’ai guère hâte d’être parvenu à destination ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Quel sort est le mien !

Pour passer le temps, il prit un livre, dans son sac de voyage et se mit à lire. C’était un récit d’aventures, qui paraissait beaucoup l’intéresser. Mais au bout de deux heures à peu près, le livre s’échappa de ses doigts et il s’endormit, à son tour.

Bientôt, le silence se fit sur les dunes, silence qu’interrompaient seulement les sonores ronflements du policier et de son prisonnier.

Chapitre II

LES FIÈVRES DES DUNES


C’est Paul Fairmount qui s’éveilla le premier, le lendemain matin, et il fut étonné de constater que le soleil était haut à l’horizon. Il regarda l’heure à sa montre.

— Neuf heures moins le quart ! murmura-t-il. Nous devrions être en route depuis quatre heures déjà, pour le moins.

Hâtivement, de sa main libre, il commença à préparer le déjeuner. Le policier s’éveilla.

— Quelle heure est-il donc ? demanda-t-il.

— Près de neuf heures, répondit Paul. C’est malheureux que nous ayons dormi si tard ; la marche eut été moins fatigante, avant le lever du soleil.

— Le soleil est brûlant ! s’écria Peter Flax ; mais je dis : « Tant mieux » !

— Comment, « tant mieux » ? C’est tant pis qu’il faut dire, ce me semble !

— Ah ! Fairmount, c’est que vous n’avez pas le frisson comme je l’ai, moi, depuis