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LE BRACELET DE FER

Non… C’était plutôt comme le frôlement d’un long vêtement, sur le tapis recouvrant le plancher du petit couloir séparant sa chambre de la chambre des machines…

Nilka s’assit toute droite sur son lit et écouta… N’était-ce pas curieux ce frôlement ?… Pourtant, Carlo paraissait ne pas l’entendre, car il ne grondait pas, ne remuait pas même ; s’il se fut levé, ou s’il eut grondé, elle l’eut certainement entendu… Encore ce frôlement !… Ce n’était pas de l’imagination, cette fois…

Nilka se leva, et, quoiqu’elle tremblât de peur, au point de pouvoir à peine se tenir debout, elle entr’ouvrit de nouveau sa porte de chambre et regarda… Dans le couloir… rien… Dans la salle… rien non plus… dans le salon, tranquillité parfaite. Elle se risqua sur l’avant-pont… Rien là, bien sûr… Elle écouta… Nul son ne lui parvint, si ce n’est le ronflement assez sonore de Joël… Pas de bruit dans la chambre de son père ; alors, il devait dormir… Encore, cette fois, le chien fit des signes de joie en apercevant la jeune fille, et c’est tout…

— Je ne me suis pas trompée pourtant, se dit Nilka ; j’ai bien entendu du bruit… comme le frôlement d’un vêtement sur le tapis…

À peine eut-elle réintégré sa cabine que le frôlement étrange lui parvint encore une fois.

— Est-ce vous, père ? Est-ce toi, Joël ? demanda-t-elle.

Ne recevant aucune réponse, elle fut prise d’une sorte de panique ; hâtivement, elle ferma à clef sa porte de chambre, puis elle se précipita dans son lit. Mais, inutile de le dire, elle ne pouvait fermer l’œil ; au contraire, les yeux démesurément ouverts, l’oreille tendue, elle écoutait… Encore ce frôlement ; cette fois, il paraissait s’approcher, s’approcher encore…

— Mon Dieu, protégez-moi, protégez-nous ! j’ai peur ! pleurait la pauvre enfant.

Comme le font les petits lorsqu’ils ont peur, la nuit, Nilka se cacha la tête dans ses oreillers.. Alors, elle entendit clairement le bruit de la poignée de sa porte de chambre tournant doucement… Elle crut mourir de frayeur. Elle sentit ses cheveux se dresser sur sa tête, tandis qu’une sueur froide, froide comme la mort, lui couvrait le visage… Elle eut voulu crier, appeler à son secours, mais pas un son ne s’échappa de sa bouche. Plus morte que vive, elle entendit le frôlement de tout à l’heure s’éloigner… s’éloigner encore… puis tout rentra dans le silence…

Et Carlo, en garde sur le seuil de la porte de chambre de la jeune fille, Carlo, le fidèle protecteur ; Carlo n’avait pas bougé…

Nilka entendit sonner toutes les heures de la nuit : minuit, une heure, deux, trois et quatre. À quatre heures, Joël se levait, d’ordinaire, et ce n’est que lorsqu’elle entendit les pas du domestique dans la salle et sur l’avant-pont qu’elle put s’endormir enfin.

De son expérience de la nuit Nilka ne souffla mot ni à son père, ni à Joël. À quoi bon d’ailleurs ? On mettrait le tout sur le compte de son imagination, bien sûr !… Et maintenant qu’il faisait grand jour, la jeune fille se demanda si les bruits entendus durant la nuit ne pouvaient s’expliquer… Ces frôlements… ne seraient-ce pas ceux des vagues, sur la coque de L’Épave ?… Pourtant, il n’y avait pas un souffle de brise, cette nuit-là… Et puis, la poignée de sa porte… elle l’avait certainement entendue tourner comme sous une main timide… Mais, peut-être cet autre bruit pourrait-il s’expliquer par une chose toute naturelle : Carlo, en se retournant ou en changeant de position aurait pu remuer la porte qui…

Cependant, l’impression ressentie cette nuit-là ne s’effaça que lentement dans l’esprit de Nilka, et durant les nuits qui suivirent, souvent, elle s’éveillait en sursaut, croyant entendre, dans le petit couloir séparant sa cabine de la chambre des machines, ce frôlement étrange qui l’avait tant effrayée. Bientôt, pourtant, elle se rendormait, essayant de se persuader qu’elle venait de rêver, tandis que ses lèvres murmuraient tout bas :

— Mon Dieu, protégez-nous, et éloignez de nous le danger !

Chapitre V

DE BONS AMIS


Tout l’avant-midi encore, la pluie ne cessa de tomber ; mais vers les deux heures de l’après-midi, une brise légère souffla, chassant les nuages, et découvrant le soleil, qui aussitôt, brilla dans tout son éclat. Alors, les canaris se mirent à chanter dans leurs cages dorées, et Carlo, sur l’arrière-pont, faisait aussi des siennes en aboyant, et essayant de poursuivre les oiseaux, qui voltigeaient autour de L’Épave.

— Qu’il est beau le soleil du bon Dieu, Joël ! s’écria Nilka, mise en joie par l’apparition de l’astre du jour.

Vers les quatre heures de l’après-midi, Joël annonça à Nilka qu’il allait aller à la pêche.

— C’est demain vendredi, vous savez, Mlle Nilka ! Du poisson frais pour le diner, ce ne sera pas à dédaigner, pour sûr !

— J’aimerais à t’accompagner, Joël, fit la jeune fille.

— C’est bien, Mlle Nilka. Aussitôt que vous serez prête, nous partirons.

On partit, ne s’éloignant pas trop de L’Épave. Carlo était de la partie, et il était évident que ce n’était pas la première fois qu’il « allait à la pêche », car il savait parfaitement où se placer pour ne pas nuire, et il se gardait bien d’aboyer, afin de ne pas effrayer les poissons.

C’est Nilka qui prit le premier poisson, ce dont elle se montra toute fière car c’en fut un de belle apparence qu’elle amena dans la chaloupe. Joël prit deux poissons, puis on retourna au bateau, car on ne tenait pas à se livrer à un inutile massacre : trois poissons de belle taille, ce serait suffisant pour le diner du lendemain, et même, il en resterait pour le repas du soir probablement.

Trois jours plus tard (c’était un dimanche) vers les onze heures de l’avant-midi, alors que Nilka venait de confectionner un dessert pour le diner, Joël, qui faisait le ménage sur l’avant-pont, vint lui dire :

Mlle Nilka, une chaloupe se dirige de ce