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gnaient, Champvert sortit de derrière l’écran et s’approcha, encore une fois du lit.

— Sous le deuxième oreiller maintenant !

Avant de glisser son bras sous l’oreiller, cependant, il se pencha et écouta la respiration du mourant.

— Bah ! dit-il entre ses dents et en haussant les épaules. J’aurais tort de craindre une surprise ; il se meurt cet homme ; sa respiration n’est plus qu’un râle !

Sous le deuxième oreiller, il ne trouva rien non plus, et une sueur froide perla à son front.

— Adrien aurait-il enlevé le testament, pour le mettre dans un endroit plus sûr ?… Ce serait jouer de malheur vraiment !

Il s’épongea le front avec son mouchoir. Les moments étaient si précieux ! Adrien devait être rendu aux écuries maintenant… Enlever la selle à Jupiter et revenir à la maison, c’était l’affaire d’une dizaine de minutes seulement.

Mais, voilà que Champvert eut une exclamation de triomphe ; c’est que sa main, glissée sous le troisième oreiller, était venue en contact avec un papier… Le testament ! Enfin !

Sans user de la moindre précaution, il retira sa main de sous l’oreiller. Oui, c’était bien le testament ; ce testament qui déshéritait Yseult Dussol ! Cependant, il allait s’en assurer sans retard.

Dépliant le papier, il y jeta les yeux. Oui, c’est bien le document qu’il avait préparé tout à l’heure !… Il s’apprêtait à mettre le testament dans la poche de son pardessus, quand une main, une main de moribond, aux doigts froids, de ce froid qui n’appartient qu’à la mort, et qui fait toujours frissonner d’horreur, se cramponna à son poignet. Champvert se sentit pâlir et son sang se glaça dans ses veines. Il eut voulu crier ; surtout quand agités par un coup de vent, les rideaux blancs voilant les fenêtres de la chambre de M. de Vilnoble se mirent à exécuter une sorte de ronde spectrale, et que les châssis et les portes des Peupliers furent secoués soudain comme par d’invisibles mains, tandis qu’un fulgurant éclair accompagné d’un formidable coup de tonnerre, sembla frapper la maison. Mais, pas un son ne sortit de la bouche du voleur de testament.

Instinctivement, ses yeux tombèrent sur le moribond… Oui, c’était bien les doigts du mourant qui se crispaient autour du poignet du notaire. Ces doigts, qui devenaient de plus en plus froid, chaque instant, serraient les poignets de Champvert comme des étaux. Les yeux de l’agonisant, que la mort glaçait déjà, étaient largement ouverts et fixés sur le voleur et ses lèvres pâles étaient figées dans un horrible rictus.

Le notaire ne parvenait pas à faire un seul mouvement, tant les doigts crispés du mourant lui enlevaient ses forces et son courage.

Tout à coup, Tigre, le chien favori de M. de Vilnoble, le farouche gardien des Peupliers, un Terre-Neuve de grande taille, se mit à hurler lamentablement, au loin, dans l’avenue. Le moribond râlait… Mais, bientôt ce râle s’éteignit dans sa gorge : il était mort…

Pourtant, ses doigts crispés autour du poignet du notaire ne relâchaient pas leur étreinte. En vain Champvert essayait-il d’écarter les doigts du mort ; chaque doigt, aussitôt écarté, retombait sur le poignet du notaire comme si le cadavre eut voulu l’entraîner avec lui, dans l’éternité.

Champvert se dit qu’il allait sûrement s’évanouir, tant il trouvait la situation terrible !

Par un suprême effort, cependant, il parvint à réagir contre cette impression de faiblesse et de frayeur ; sans précaution aucune, sans respect aucun pour celui qui venait de mourir, il écarta les doigts crispés, au risque de les casser. Étant parvenu à dégager son poignet enfin, il se laissa tomber sur un siège, à moitié mort d’épuisement et de terreur.

Avant de quitter la chambre mortuaire, le notaire avait autre chose à faire, et il devait se presser, s’il ne voulait pas être surpris par Adrien ; ensuite, il s’en irait des Peupliers, emportant le testament de M. de Vilnoble, qui lui avait causé de si terribles angoisses.

Champvert retira de sa poche un papier légal sans valeur, et s’approchant du foyer, où brûlait un feu clair, il y jeta le papier, qu’il laissa se consumer presqu’en entier. L’entête du papier restait intacte. Il s’agissait de laisser croire que le moribond avait retrouvé assez de forces, avant de mourir, pour détruire son dernier testament.

Ensuite, quoiqu’il lui en répugnât beaucoup le notaire revint vers le cadavre, et le saisissant par les jambes, le tira à moitié hors du lit ; ainsi, on serait porté à croire que M. de Vilnoble était tombé mort, en revenant de brûler son testament, et avant même d’avoir pu se coucher tout à fait.

Le sinistre personnage alors, se décida de quitter la chambre. Il se glissa dans l’étude, puis passant par la porte-fenêtre ouvrant sur une des galeries extérieures, il s’élança dans l’avenue des Peupliers et disparut dans la nuit.


CHAPITRE VIII

YSEULT


Debout devant une glace, dans un boudoir meublé avec luxe, une jeune fille est à essayer l’effet d’une boucle en gaze noire. Cette jeune fille c’est Yseult Dussol. Elle est très blonde. Ses cheveux ont des reflets d’or, ses yeux sont de la couleur des pervenches et sa bouche est toute mignonne. Trois choses pourtant nuisaient à sa beauté de blonde : premièrement, dans ses yeux se voyait parfois une expression de grande dureté. Deuxièmement ses lèvres étaient trop minces. Troisièmement, son teint était trop pâle, ou plutôt, elle n’avait pas de teint, et ce visage trop blanc faisait un singulier effet, encadré de cheveux blonds. Yseult était obligée de se mettre du rouge sur les joues ; mais elle savait si bien appliquer ces couleurs artificielles, que personne encore ne s’en était douté.

C’était le soir de la mort de M. de Vilnoble. Tout était silencieux et sombre aux Peupliers, excepté dans le grand salon, où était exposé le corps de M. de Vilnoble. Dans ce salon, ce n’était qu’allées et venues, et près de cinquante cierges jetaient