Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/25

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medi dernier ?

— Oui, je m’en souviens, répondit Roxane. Le Docteur se rendait chez un malade, qui demeurait à cinq ou six milles d’ici… Il ne lui est pas arrivé d’accident, je l’espère ?

— Eh ! bien, Mam’zelle Roxane, c’malade chez qui l’docteur s’rendait, avait les fièvres typhoïdes et l’Docteur Philibert a pris les fièvres de son malade ; le soir même, on l’mettait au lit, et il n’s’est pas r’levé depuis, dit le facteur.

— Ah ! s’exclamèrent-ils tous.

— J’ai vu Célestin, l’domestique du docteur. Il m’a dit que l’Docteur Philibert, arrivé chez lui, en rev’nant d’voir son malade, samedi dernier, n’avait pu prendre son souper. Il avait appelé son domestique, dans l’courant d’la veillée et lui avait dit : « Célestin, mon garçon, j’crois vraiment qu’j’ai pris les fièvres, de mon client. Pour le cas où j’tomb’rais malade, tu trouv’ras, sur mon pupitre, les indications à suivre pour me soigner ». Une heure plus tard, Célestin dut mettre son maître au lit, car il était atteint des fièvres typhoïdes.

— Pauvre Docteur Philibert ! dit Roxane.

— Va-t-il mourir le bon Docteur ? demanda Rita, en pleurant.

— Non ! Non ! Mam’zelle Rita ! assura le père Noé. Ça va un peu mieux. Moi, j’dois r’tourner chez l’docteur mardi, avec des remèdes, dont Célestin m’a demandé d’me charger ; j’arrêt’rai vous donner des nouvelles à mon r’tour du Valgai.

— N’y manquez pas, père Noé ! dit Roxane.

— Vous êtes-vous rendu aux Peupliers, père Noé ? demanda Hugues.

— Nous avons bien hâte d’avoir des nouvelles des Peupliers aussi ! dit Roxane.

— J’me suis rendu aux Peupliers et j’vais vous donner des nouvelles de là aussi. (Pas toutes les nouvelles c’pendant, se disait, in petto le vieux facteur) Certaines choses qu’il avait apprises ne devaient pas venir de lui, bien sûr !

— Eh ! bien ? fit Hugues.

— Je r’grette, M. Hugues, d’être le porteur d’mauvaises nouvelles…

— De mauvaises nouvelles ! s’écria Roxane. Qu’est-ce donc ?

— Lundi ont eu lieu les funérailles de M. d’Vilnoble, reprit le facteur, puis ensuite, la lecture de son testament, dans l’salon des Peupliers. Personne ne sait c’qui s’est passé ; mais on a entendu la voix d’Adrien, à plusieurs reprises, voix entr’coupée d’sanglots… Nul ne saura jamais pourquoi Adrien pleurait ainsi (nul parmi les domestiques, j’veux dire) car, à la lecture du testament, il n’y avait, à part du notaire Champvert, que Mme Dussol, Mlle Yseult et Adrien… Eh ! bien, Adrien n’a plus jamais parlé, après la lecture du testament d’M. d’Vilnoble : une attaque d’paralysie totale, dit-on, et l’soir même… il mourait.

— Mort ! Adrien mort ! s’écrièrent, en même temps Roxane et Hugues.

— Oui, mort… Adrien a eu une peine extraordinaire d’la mort d’son maître et…

— Pauvre Adrien ! murmura Hugues.

— Il vous aimait tant, M. Hugues ! dit Roxane, en pleurant.

— Je r’grette de n’vous apporter que d’mauvaises nouvelles, dit le père Noé ; je l’r’grette infiniment !

— Qui avez-vous vu aux Peupliers ? demanda Hugues.

— J’n’ai vu que Flore, la fille de chambre. Elle va quitter l’service ; de fait, tous les domestiques s’en vont, car, depuis la mort de M. d’Vilnoble, c’n’est plus tenable aux Peupliers, parait-il, Mam’zelle Dussol a pris l’commandement, et tous la détestent. Elle se propose, dit-on, de faire restaurer l’étage supérieur d’aile gauche et d’y loger les domestiques…

— Les appartements de ma mère ! s’écria Hugues, très indigné.

— Oui, M. Hugues. Or, vous savez la superstition qui règne parmi les domestiques des Peupliers : ils prétendent que l’aile gauche, du moins, les pièces qu’occupait, d’son vivant Mme d’Vilnoble, sont hantées et…

— Et dire que je ne puis pas me rendre aux Peupliers ! s’exclama Hugues. Ma cousine Yseult prend des libertés, je trouve !

Le père Noé eut l’air un peu embarrassé à cette exclamation de Hugues ; il en savait beaucoup plus long qu’il n’en disait, mais, encore une fois, il considérait qu’il ne lui appartenait pas, à lui, d’en dire davantage.

— L’notaire Champvert, reprit le facteur, est presque continuellement aux Peupliers ; on prétend qu’il va épouser Mam’zelle Dussol le plus tôt possible, c’est-à-dire, en dedans de trois mois. Mme Dussol ne fait qu’pleurer et sa fille lui fait des scènes.

— Ce que vous nous dites à propos du notaire Champvert me surprend beaucoup, père Noé, dit Roxane. Adrien m’a dit que Mlle Dussol n’aimait pas cet homme…

— Elle va l’épouser, cependant, Mam’zelle Roxane, et l’notaire agit déjà en maître aux Peupliers.

— Ciel ! s’écria Roxane, M. de Vilnoble, reprit-elle, en s’adressant à Hugues, ne voyez rien d’inhospitalier dans mes paroles ; mais il me tarde de vous voir partir pour les Peupliers… Il s’y passe d’étranges choses, à mon avis.

— Aussitôt que je pourrai me tenir en selle, dit Hugues, j’irai voir ce qui se passe aux Peupliers… Ce notaire Champvert…

— M. Champvert est un triste sire, je vous l’assure, M. de Vilnoble, affirma Roxane. Je ne veux pas commettre un jugement téméraire, mais, cet homme, je le crois capable de tous les forfaits. Jamais je n’oublierai le regard de haine et de colère qu’il a lancé à votre père mourant, jamais !

Un pli soucieux se creusait sur le front de Roxane, et quand elle fut rendue dans sa chambre à coucher, elle se mit au lit, mais elle ne put dormir. Il se passait quelque chose de très étrange aux Peupliers… Elle ne comprenait pas comment il se faisait qu’Yseult Dussol eut pris sur elle de donner des ordres dans cette maison, qui appartenait à Hugues maintenant… De plus, il était singulier que le notaire ne fût pas encore venu aux Barrières-de-Péage avertir Hugues de son héritage : Champvert savait que Hugues était chez Roxane… alors, pourquoi ce retard ?…