Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/41

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des : « Après » ? mon cher ?… Si tu veux bien, j’irai te rejoindre dans ton étude, tout à l’heure et…

— Comme tu voudras, ma chère Yseult, répondit Champvert. Eh ! bien, belle-maman, reprit-il, d’un ton moqueur cette fois et s’adressant à Mme Dussol, vous n’avez pu vous décider encore à nous dire où vous avez passé ces trois jours, durant notre voyage de noces, hein ?… Vraiment, le mystère…

— C’est vrai, mère ! interrompit Yseult. Ç’a l’air si singulier de vous voir faire un mystère de votre absence des Peupliers ! Pourquoi ne nous dites-vous pas où vous avez passé ces trois jours ?

— Ma chère Yseult, répondit tranquillement Mme Dussol, je ne me crois pas obligée de vous rendre compte, ni à toi, ni à ton mari, de mes allées et venues.

— Tout de même, vous pourriez bien nous le dire où vous êtes allée ! fit Yseult. Vous n’avez ni amies ni connaissances dans les environs, que je sache. Où donc êtes-vous allée, mère ?

— Yseult, répondit doucement Mme Dussol, je suis allée… où il m’a plu d’aller ; que cela te suffise, une fois pour toutes.

— Ciel, belle-maman, dit Champvert avec un ricanement méchant, vous le prenez de haut, n’est-ce pas, et je suis obligé de vous rappeler, encore une fois, que votre frère M. de Vilnoble n’a fait que d’assez minces provisions pour vous dans son testament !

— De quel testament parlez-vous, mon gendre ? demanda Mme Dussol. Le dernier testament de mon frère n’a pas…

Roxane entendit le bruit d’une chaise poussée avec force et elle comprit que Champvert s’était levé brusquement ; il devait être fort mécontent.

— Si tu désires me parler, Yseult, dit le notaire, d’une voix où tremblait la colère, je me rends à mon étude immédiatement.

Roxane eut soudain le pressentiment qu’il allait être question du testament de M. de Vilnoble, entre le mari et la femme. Vite, elle sortit de la dépense, afin d’arriver la première dans l’étude.

C’était l’ancienne étude de M. de Vilnoble. On se souvient de cette pièce. Roxane, en entrant, jeta un regard autour d’elle ; il s’agissait de se tenir cachée, mais de manière à ne pas perdre un mot de la conversation entre les deux époux. Elle aperçut l’armoire, dans laquelle Champvert s’était caché, la nuit de la mort de M. de Vilnoble. Cette armoire c’était plutôt une sorte de corridor très étroit. À l’une de ses extrémités était une fenêtre, que la jeune fille entr’ouvrit, afin de s’assurer une issue, en cas d’alerte.

Roxane n’était pas sans comprendre le terrible risque qu’elle courait ; elle était là, dans cet étroit corridor, comme un rat dans un piège, sauf que la fenêtre se trouvait à sa droite.

Des pas s’approchaient, et bientôt, la jeune gardienne des barrières entendit la voix de Champvert qui disait :

— Tu as à me parler, Yseult ? Eh ! bien, qu’as-tu à me dire ?

— Ignace, répondit Yseult, en te rappelant tout à l’heure, qu’il y avait un mois aujourd’hui que nous sommes mariés, je voulais te rappeler, en même temps, ta promesse de me remettre… certain document…

— Ah ! dit seulement le notaire.

— Le document, Ignace ! Le dernier testament de mon oncle de Vilnoble ! Ce testament qui…

— Ce testament qui… pourquoi n’achèves-tu pas ta phrase, ma chère ?… Tu désires que je te remettre, ce soir, le dernier testament de M. de Vilnoble, celui qui te déshérite et rend presque millionnaire ton cousin Hugues. Ce testament qui eut pour témoin Adrien et cette demoiselle Monthy…

Roxane s’approcha de la cloison et elle entr’ouvrit de quelques pouces la porte de l’armoire, afin de pouvoir voir, aussi bien qu’entendre.

— Le testament, Ignace ! Tu as promis ! s’écria Yseult. Donne-moi ce papier si compromettant, que je le brûle dans ce foyer !

Champvert s’approcha d’un coffre-fort, qu’il ouvrit, et il en retira un document qu’il montra à sa femme. Yseult tendit la main vers le papier…

Roxane, de sa cachette, retira des plis de sa robe un revolver et elle posa son doigt sur la détente, prête à tirer, si on essayait de détruire ce document, pour lequel elle avait déjà tant risqué.

Mais le notaire ne tendit pas le papier à sa femme.

— Tu le reconnais bien ce testament, n’est-ce pas, ma chère ? dit-il d’un ton sinistre. Eh ! bien, je te le remettrai pour que tu le détruises… à une condition.

— À une condition ! s’écria Yseult. Tu m’avais promis…

— Oui, je sais ; mais j’ai changé d’idée, depuis… Sans moi, ma chère tu étais déshéritée ; il est donc juste que tu me cèdes au moins la moitié de la fortune dont tu as hérité… Tiens, Yseult, ajouta le notaire, signe ce papier ; en retour, je tiendrai la promesse que je t’ai faite.

— Comment ! Te céder la moitié de ma fortune ! cria Yseult, pâle de colère. N’est-ce pas assez que tu m’as obligée de faire mon testament en ta faveur ! Mais, de mon vivant ! Jamais, entends-tu ? Jamais ! Me mettre, en quelque sorte, à ta merci !… Je le répète, jamais ! J’aime trop mon indépendance pour consentir à cela !

— Comme tu voudras ! répondit Champvert. Alors, le testament retourne dans mon coffre-fort… Écoute, Yseult, je te donne trois mois pour te décider ; si, au bout de ce temps, tu es encore dans les mêmes dispositions, je m’arrangerai pour que ce document soit trouvé… disons, par ta mère… Tu connais les conséquences !

Ce-disant ! il jeta le testament dans le coffre-fort, dont il fit jouer la combinaison.

La figure d’Yseult était effrayante à voir : ses yeux étaient horriblement dilatés, ses joues étaient blanches comme de la cire, et ses lèvres minces paraissaient plus minces encore. Soudain, elle s’élança vers son mari.