Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Aussitôt qu’il fera jour, le cocher ira chercher le Docteur Philibert.

Congédiant les domestiques, Mme Champvert resta seule avec Mme Louvier et le blessé.


CHAPITRE XII

L’ÉCHEC


Roxane était totalement épuisée, ayant passé la nuit au chevet de Champvert, à appliquer des compresses sur son épaule blessée. Ce n’était qu’une blessure superficielle, il est vrai ; mais, tant que la balle n’aurait pas été extraite, il souffrirait. Ce n’était pas une sinécure que de soigner le mari d’Yseult et la jeune infirmière passa une nuit très fatigante.

Vraiment, la fiancée de Hugues n’avait pas de chance ! Depuis que Silverstien était dans la maison, Champvert n’avait presque pas quitté son étude : il se défiait trop du juif, de ses doigts crochus, pour le laisser approcher même du coffre-font. De plus, le notaire se défiait d’Yseult, qui ferait tout au monde pour s’emparer du dernier testament de son oncle de Vilnoble, afin de le détruire.

Assurément, Roxane courait peu de chance de pouvoir manipuler le coffre-fort. Si la vie d’Yseult n’eut été en danger, la nuit précédente, la jeune fille eut beaucoup hésité avant de tirer ce coup de revolver, car, Champvert blessé, cela retardait indéfiniment peut-être son départ pour le lac à l’Ours. Pourtant, elle se disait que la Providence lui viendrait en aide, lui suggérant le moyen et lui procurant l’occasion de s’emparer de ce testament, dont dépendait tout l’avenir de Hugues, pauvre Hugues, exilé, en quelque sorte, là-bas, sur l’Île Rita !

À sept heures, Sophranie, une des servantes, vint remplacer Roxane auprès du malade. La jeune fille, au lieu de se coucher, alla se promener un peu dehors. Elle vit partir le cocher : il se rendait au Valgai chercher le médecin ; il ne restait donc plus personne dans l’étude de Champvert, pourtant, toute la maisonnée étant déjà sur pied, Roxane n’aurait pu se risquer à s’approcher du coffre-fort. Elle entra dans la maison, fit un brin de toilette, déjeuna puis alla attendre, dans l’avenue des Peupliers, l’arrivée du Docteur Philibert.

Quand le médecin arriva, Roxane alla au-devant de lui et elle le mit au courant de ce qui s’était passé.

— Je ne pouvais pas agir autrement, n’est-ce pas, Docteur ? demanda-t-elle, lorsqu’elle eut tout raconté.

— Assurément non, répondit le docteur. Cet homme ne jouait pas un rôle pour la galerie, c’est certain ; il eut tué sa femme et se serait arrangé ensuite pour éclabousser sa mémoire, en faisant croire qu’elle s’était suicidée.

Mme Champvert a fait toute une légende pour expliquer ce coup de revolver que j’ai tiré ; elle vous la racontera probablement…

— Et je ferai semblant de la croire, dit le Docteur Philibert, en souriant.

— Il y a quelque chose d’étrange dans les yeux d’Yseult, Docteur, dit Roxane. Je ne puis m’expliquer ce que c’est, mais ça m’effraie un peu… Ô ciel ! ajouta-t-elle, combien il me tarde de partir d’ici !… Pourtant, je ne partirai que quand je serai parvenue à m’emparer du testament ; cela je le jure !

C’est Roxane qui conduisit le médecin dans la chambre à coucher de Champvert, et elle le laissa là, pendant qu’il enlevait la balle, qui s’était logée dans la partie charnue de l’épaule du notaire. Durant cette petite opération, les exclamations… poétiques de Champvert s’entendaient clairement dans toute la maison.

Quand tout fut terminé, le Docteur Philibert fit demander Mme Louvier, à qui il dicta certaines instructions pour les soins à donner au blessé ; Yseult était présente.

— Puisque c’est vous qui vous êtes chargée du soin du malade, Mme Louvier, dit-il à Roxane, je dois vous avertir qu’il aura, aujourd’hui, et probablement toute la nuit prochaine, des crises de fièvre et de délire, suivies d’un épuisement presque complet. Ne le quittez pas. Il n’y a pas de danger immédiat, mais il lui faut des soins continuels.

Durant l’après-midi, Yseult arriva dans la chambre et elle demanda à Roxane, en désignant Champvert :

Mme Louvier, pensez-vous qu’il puisse en mourir ?

Cette question qui avait semblé trembler sur les lèvres de la jeune femme, depuis la nuit précédente, elle la posa d’une voix très agitée.

— Je ne le crois pas, répondit Roxane.

Cette expression étrange dont elle avait parlé au médecin, ce matin-là, parut, un instant, dans les yeux d’Yseult.

— Ah ! murmura-t-elle. Puis elle quitta la chambre et se rendit dans son boudoir, où elle s’enferma.

Mais, vers les six heures, Mme Champvert revint dans la chambre à coucher, elle était coiffée d’un chapeau, recouverte d’une mante et elle dit, s’adressant à Roxane, tout en mettant ses gants :

Mme Louvier, je ne puis plus supporter l’atmosphère de cette maison. J’ai donné au cocher ordre d’atteler. Vous n’aurez pas peur de rester seule avec votre malade ?

— Peur ? Mais, pas du tout !

L’occasion tant rêvée, tant désirée, enfin ! Yseult absente, le cocher absent, lui aussi, et les autres domestiques occupés à préparer le dîner, dans une autre partie de la maison… Quelle chance ! Roxane se dit qu’elle allait en profiter. Champvert dormait paisiblement, sous l’effet d’un calmant… Oui ! Oui ! Bientôt, dans quelques instants maintenant, elle tiendrait dans ses mains le testament, pour la possession duquel elle avait fait tant de sacrifices et couru tant de risques !  !

— Si vous avez besoin d’aide, Mme Louvier, reprit Yseult, vous n’aurez qu’à sonner et appeler un domestique.

— Ne vous inquiétez de rien, Madame, répondit Roxane. Une petite promenade en plein air vous fera certainement du bien.

— Que pensez-vous de l’état de mon mari ? demanda la jeune femme.

— Il dort paisiblement, dans le moment.