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possible : mais l’enfant pleurait tout bas, tant le bruit du vent lui faisait peur. Alors, la jeune gardienne des barrières chanta, d’une voix douce, une petite berceuse, qu’elle avait composée elle-même, la veille :


LE SOUFFLE DE DIEU


(Berceuse)


Pourquoi frémir quand le vent siffle ou pleure ?…
Rita chérie, endors-toi, ne crains rien,
Car cette plainte autour de ta demeure,
C’est bien la voix de ton Ange-Gardien.


Refrain


Enfant, cet étrange murmure
Nous vient directement des cieux ;
Le vent, vois-tu, chacun l’assure,
Le vent c’est le souffle de Dieu.


II


Le vent, ce soir, une berceuse entonne…
Ton Ange est là, ses ailes agitant
Pour rafraîchir ton front brûlant, mignonne ;
N’entends-tu pas leur doux bruissement ?


III


Le vent, encor, c’est la sylphe, chérie ;
Sur la nature on la voit secouant
Ses voiles et sa fine draperie,
Au loin, là-haut, tout près du firmament.


IV


Puis le vent c’est le bruit que font les ailes
De quantité d’oiseaux du paradis,
Lançant soudain comme des étincelles…
Quelle beauté, Rita, quel coloris !


V


Petite sœur, n’est-ce pas que tu l’aimes
Le vent, chantant son caressant refrain ?…
Ferme tes yeux ; avec l’étoile blême,
Je veillerai sur toi jusqu’au matin.


À peine eut-elle fini de chanter, que sa petite sœur s’endormait d’un sommeil profond et paisible. Alors, Roxane se mit à lire et à prendre des notes dans un petit calepin. Il pouvait être neuf heures. L’obscurité était complète dehors. Le vent continuait à gémir, et c’était assez déprimant.

Tout à coup, Bruno se mit à gronder, et Roxane perçut un bruit singulier sur la route, tout près du pont, comme si quelqu’un y eut roulé un objet pesant. La jeune fille alla porter sa lampe dans la chambre voisine, puis elle s’approcha de sa fenêtre et essaya de distinguer ce qui se passait dehors. Inutilement… Elle ne vit rien, et de plus, tout bruit, si vraiment il y en avait eu tout à l’heure, avait cessé. Bruno s’était tu ; tout était silencieux aux Barrières-de-Péage et aux environs. Seul, le gémissement du vent interrompait le silence.

Roxane alla chercher sa lampe et se remit à lire.

Il y avait à peine dix minutes qu’elle lisait, quand elle entendit le galop d’un cheval. Quelqu’un s’en venait vite, très vite sur la route, et bientôt, le cheval poserait le pied sur le madrier faisant résonner le timbre. Sans s’en rendre tout à fait compte, Roxane suivait les progrès du cheval… qui ne devait plus être qu’à une courte distance du pont maintenant… Le timbre… Mais, soudain, tout bruit cessa, et presqu’aussitôt, Bruno se mit à aboyer avec fureur.

Un accident ?… Ça en avait tout l’air !…

Vite, Roxane descendit dans la salle d’entrée, où Belzimir essayait de faire taire le chien.

— Tais-toi donc, Bruno ! disait Belzimir. Tu finiras par réveiller la chère petite Mlle Rita !

— Belzimir ! appela Roxane.

Mlle Roxane ! s’écria Belzimir. Qu’y a-t-il ? Mlle Rita ?…

— Vois donc Bruno, Belzimir ! Il est arrivé un accident, je le crains.

— Un accident, Mlle Roxane !

— Oui. J’ai entendu le galop d’un cheval, puis… plus rien… Prends le fanal, Belzimir, et viens !

Il y avait toujours un fanal allumé dans la salle, la nuit ; Belzimir s’en saisit, et précédé de Roxane, qui s’était recouverte à la hâte d’une mante, ils sortirent sur le pont, accompagné de Bruno, qui ne cessait d’aboyer.

Quand on fut parvenu au bout du pont, Roxane aperçut un grand cheval blanc qui se roulait par terre et faisait des efforts pour se relever. Au moment où la jeune fille et son domestique arrivaient près de lui, le cheval parvint à se lever, puis, s’étant secoué, il se mit à trembler.

Ce cheval — une superbe bête — portait une selle… Mais la selle était vide… Où était le maître de ce cheval ?…

Tout à coup, la voix de Belzimir, qui s’était porté vers la droite, se fit entendre :

— Ici, Mlle Roxane ! Ô ciel ! Quel malheur ! Pauvre jeune homme !


CHAPITRE IV

HUGUES


Roxane, accourant à l’appel de Belzimir, faillit tomber, car ses pieds s’accrochèrent à une pierre, qui lui sembla énorme, et qui était placée de travers sur le chemin. À la lueur du fanal, dont Belzimir projeta soudain les rayons dans sa direction, la jeune fille aperçut deux grosses pierres. Ces pierres… Elles n’avaient pas été là durant le jour… Alors, que penser ?…Tout à coup, elle se rappela le bruit qu’elle avait entendu, il y avait un quart d’heure à peine, alors qu’elle lisait, auprès de sa petite sœur endormie ; le bruit d’un objet pesant roulé sur la route… Cet accident qui venait d’arriver avait donc été provoqué ?… Mais, pour le moment, il s’agissait d’aller au secours de Belzimir, qui ne cessait de se lamenter.

— Oh ! Pauvre jeune homme ! Est-ce assez malheureux !

Roxane, arrivée auprès de son domestique, vit un jeune homme, couché sur le sol et baignant dans son sang.

— Grand Dieu ! s’écria-t-elle.