Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/90

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cape fourrée d’hermine. (C’est d’un pas dégagé qu’elle passa près des deux convives sans paraître les remarquer . Alban, lui tournant le dos, ne l’avait pas vue. «Quant à l’architecte, ayant le nez dans son assiette, il ne la vit pas tout de suite. (Mais quand elle approcha de la table, en passant, sa mante soyeuse frôla l’épaule du reporter. iCelui-ci dressa la tête. A«la même minute Paul Lavoie levait les yeux, et ses regards croisèrent les regards de la femme. Et cette femme souriait à l’architecte. Lui, très ému, rougit et baissa les yeux. La femme passa. Alors le reporter put considérer l’élégante silhouette qui marchait vers la sortie. Vivement il se pencha vers. Lavoie et bégaya : —L’est elle, n’est-ce pas ? —LA FEMME D’OR...oui ! —Attends-moi ici, demanda le reporter en se levant. Je jure ma tête que cette fois, je saurai bien quelque chose. La femme mystérieuse était sortie. Le reporter s’élança à son tour hors du restaurant. Fin de la Première Partie. DEUXIEME PARTIE f LE BOUDOIR VERT. I Vertige d’amour et vertige d’épouvante. Dehors, le reporter n’eut que le temps de voir la jeune femme s’engager sur l’avenue Hôtl de Ville. Il partit à sa suite. Et, comme elle avait fait quelques heures auparavant, l’inconnue tourna sur la rue Demontigny. Alban Ruel, pour ne pas la perdre de vue, partit au pas de course. 11 arriva à temps à l’angle de la rue Hôtel de Ville et de la rue Demontigny pour voir la jeune femme entrer par cette porte qui avoisinait celle de l’épicerie. —Allons ! se dit-il avec une joie furieuse, cette fois je suis sûr de ne pas me tromper de porte. Mais que diable va-t-elle faire chez LA PETITE MODISTE ? N’importe ! Ce n’était pas le temps de résoudre les problèmes compliqués. Quand il arriva devant la maison, il entendit claquer la porte de l’étage supérieur. Vivement il entra, grimpa lestement l’escalier et, juste à la minute où. il entendait une clef tourner .dans la serrure, i ! saisit le bouton de la porte et presque violemment il la poussa devant lui. Alors il s’arrêta, stupéfait, sur le seuil d’un joli boudoir doucement éclairé par quatre candélabres à verre rose disposés chacun aux quatre murs de la pièce. Mais dans ce boudoir il n’y avait personne. Sa stupéfaction grandit. Il promena un regard peu sûr sur le mobilier et les décorations. Il remarqua que ce mobilier était de nuance verte, que les tentures étaient vertes, que les murs étaient verts, le plafond vert, que tout, enfin, hormis le globe rose des candélabres, était vert dans ce- petit boudoir. Attiré par une force invincible, le reporter entra et referma la porte après lui. A la même seconde les candélabres s’éteignirent et le journaliste se trouva pris dans une obscurité complète. De suite il ressentit par tout son être une vive émotion très voisine, de la peur. Instinctivement il chercha des doigts le bouton de la porte qu’il venait de fermer. Ses doigts ne touchèrent que des tentures quelconques. Des mains il se mit à fouiller fé-brilement l’obscurité, il tâtonna tout autour de lui, mais Importe qu’il cherchait demeurait introuvable. Alors il prêta l’oreille : aucun bruit. Partout un silence solennel régnait. Il frotta une allumette ; un souffle invisible la souffla. L’obscurité lui parut plus dense, dépendant, dans cette fugitive lueur de l’allumette, il avait cru remarquer en face de lui des draperies qui semblaient dissimuler une porte. Il frotta une seconde allumette ; le même souffle mystérieux l’éteignit. Il sentit ses cheveux se hérisser sur sa tête. Tout à coup, un juron prononcé par une voix mâle le fit sursauter, et ce juron lui a-, vait paru partir tout près de lui. Coûte que coûte il voulut sortir de ce lieu effrayant. Il marcha dans la direction des draperies qu’il avait aperçues, il marcha à tâtons, tremblant. Puis il s’arrêta, très curieux au bruit singulier entendu. Il écouta. Mais ce bruit il ne pouvait le définir. Mais de suite il perçut distinctivement la chute d"un corps humain, et de suite aussi des sanglots comprimés, des pleurs, des gémissements. La voix qui pleurait lui sembla une voix féminine. .. .c’était quasi une voix d’enfant. L’indignation souffla au cerveau du reporter. Quoi ! là, tout prêt de lui, on se permettait de faire souffrir une femme ? Non... cela ne serait pas ! Alban Ruel Jut saisi par l’héroïsme. Sa force et sa vigueur dhomme, il les devait au sexe plus faible ! Protéger la femme était honneur et gloire ! Pour lui, une femme c’était un être qu’on ne pouvait toucher que du bout du doigt comme une chose sacrée ! Mais là, un brutal torturait une femme ! —Oh ! murmura-t-il indigné, il faut que j’arrache cette femme à son bourreau ! Il s’élança vers les draperies entrevues. Il tripota de ses mains fébriles du noir d’encre, puis il buta contre un objet quèlconque, tomba, donna de la tête sur un meuble, roula sur le tapis du boudoir. De suite il tenta de se relever.. .mais à cette même seconde il sentit une robe de femme, une robe délicieusement parfumée, frôler sa figure. Il étendit une main, mais à l’instant quelque chose de très lourd lui tomba sur la tête et le terrassa. De nouveau il s’éci asa >ur le tapis et s’évanouit. Il ne put entendre le sombre ricanement qui venait d’éclater à ses oreliles. Une lumière très vive brilla tout à coup. Alban Ruel ouvrit des prunelles très lourdes, et ses regards éblouis se posèrent sur une apparition de rêve.