Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/94

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94 Non...ce n’était pas possible ! Il n’était pas mort ! Il vivait ! Il ne se laisserait pas mettre dans ce cercueil ! On l’avait pensé mort ! Mais lui, il crierait sa vie ! Ah ! non ...on ne l’enterrerait pas vivant ! Oh ! horreur.. .horreur ! Les deux ouvriers, après avoir abandonné leurs pinceaux, s’approchaient d’Alban. L’un saisissait ses pieds, l’autre sa tête, et tous deux l’emportaient vers le cercueil. Alban voulut se débattre : il ne put remuer une libre !

Il voulut crier, hurler, vociférer : la

poire l’angoisse l’étouffait ! Et, à présent, il était déposé dans le cercueil. Au-dessus de lui, il aperçut des regards étincelants peser sur ses yeux battus d’horreur, il aperçut deux faces grimactr des sourires ironiques. Il perçut cette voix moqueuse : —Il va être pas mal dans ça ! ■L’autre voix de répondre non moins moqueuse : —Il n’aura jamais été si bien casé ! —Faut-il mettre le couvercle de suite ? —’Non. .tantôt.. .quand on ira le porter en terre ! Un sourd ricanement circula dans l’espace silencieux. Et pour la quatrième fois, le petit reporter de la petite nouvelle s’évanouit ! III LE COUP DE TELEPHONE 1,1 était trois heures. ■Paul Lavoie, le jeune architecte, n’avait pas quitté le Restaurant Royal ; il attendait encore son ami, Alban Ruel. Il fumait des cigarettes, bâillait, se demandait avce impatience : —’Que fait-il ? Va-t-il revenir ? S’il lui était arrivé un accident !...une mésaventure ! ...Que faire ?... J’ai bonne envie de téléphoner à Audet... .Oui, je téléphone, car, vraiment, je suis inquiet. (Le restaurant était tout à fait désert à cet instant. De la cuisine partait le bruit d’une conversation monotone : c’étaient la fille de nuit et le cuisinier. Envoie se dirigea vers le cabinet du téléphone. Après avoir demandé à l’opératrice de nuit la communication avec Audet, il attendit pas moins de dix minutes. Enfin, une voix enrouée et nccontentc parla rudement : —Eh bien ! veut-on me dire si l’on me prend pour un médecin ? —C’est vous, cher maître ? —’Qui parle ? Du diable si l’on peut se permettre de réveiller les gens honnêtes à cette heure de nuit ! —Ne vous fâchez pas, maître, et je vous demande pardon de vous déranger. Mais je suis dans une telle disposition d’esprjt... —Allons ! je reconnais ta voix, Paul. Que se passe-t-il ? —Alban n’est pas revenu ! —Il n’est pas revenu ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Où est-il allé, d’abord ? —Il est parti encore après LA FEMME D’OR ! —Hein ! LA FEMME D’OR !... encore ? Où l’a-t-il revue ? —Ici.. .il v a deux heures environ, —Ici ! Où ? -—Je suis au Restaurant Royal. —Ah bon ! Et tu dis qu’il a vu LA FEMME D’OR au Restaurant Royal ? —Oui... et il est parti à sa poursuite. Il m’a recommandé de l’attendre ici. Mais je commence à me désespérer. —Eh bien ! làche-le avec sa FEMME D’OR ! Et l’avocat se mit à rire. —Mais s’il lui était arrivé malheur ? —Ah bah ! s’il est dans les bras de LA FEMME D’OR, il ne peut trouver que tous les bonheurs. Non... je te conseille de t’en aller chez toi et de dormir sur tes deux oreilles. Bonne nuit ! L’architecte dut bien abandonner l’appareil, et il décida de suivre le conseil du criminaliste. Mais au moment où il allait sortir du petit cabinet, le téléphone vibra longuement. Lavoie reprit de suite l’appareil pensant que Jacques Audet le rappelait. —Eh bien ? fit-il. —Est-ce le Restaurant Royal ? —’Oui. —Est-ce toi, Paul ? —Oui. Comment ! C’est toi, Alban ? —Tu reconnais ma voix ? —Que fais-tu ? Je t’attends depuis deux longues heures. Je commençais à craindre. —Je suis bien mal emmanché.. .j’ai besoin de ton aide. Veux-tu venir immédiatement ? —Ou es-tu ? —Tu le sais bien.. .sur la rue Demontigny ! —Chez la Fe.... —Ne prononce pas ce nom ! Viens vite., sinon, je suis peut-être perdu ! —J’y cours. Cinq minutes, et je serai là ! Très pâle, effraye, appréhendant quelque terrible malheur, le jeune architecte s’élança hors du petit cabinet, et bientôt hors du restaurant. Il prit sa course vers la rue Demontigny. En moins de cinq minutes il était devant la porte dont lui avait parlé le reporter. Celte porte, il l’ouvrit d’une main nerveuse, entra, grimpa l’escalier et se trouva bientôt devant la porte de l’étage supérieur. Avant d’essayer cette porte, il prêta l’oreille. Pas un bruit à l’intérieur. Il tourna le bouton d’une anain tremblante. la porte s’ouvrit. Mais sur le seuil de celte porte le jeune homme demeura frappé d’horreur. Devant .lui se dressait une chambre mortuaire. Au centre de la chambre et sur deux chevalets reposait un cercueil rouge. De chaque côté du cercueil, un cierge flambait. Pas un meuble, pas une chaise, et les murs étaient tendus de draps noirs. Il frissonna. Puis, malgré lui, malgré son épouvante, il se haussa sur la pointe des pieds, jeta un regard éperdu dans le cercueil, et il vit.... Mais il chancela, ses yeux se fermèrent, il s’agrippa au cadre de la porte pour ne pas tomber. Par un effort violent il rouvrit les yeux et regarda encore.