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LARISSE

peines, et compatissant à ses mallieuis. je me plai « j^nois de l’in justice du sort. Lorsque j’en trouvois l’occasion je l’exhorlois à prendre courage, je melois souvent mes larmes avlx siennes, et j’essavois de le consoler ou du moins d’adoucir ses maux. De plus, pour ménager sa foiblesse.je le prévenois sur tout ; je ne soufl’rois plus qu’il se donnât la moindre peine, je faisois moi-même son ouvrage et presque toute la besogne du logis : mais je ne me contentois pas de prendre sur moi toute sa tache et de lui procurer par mes fatigues le repos dont il avoit besoin ; j’étois devenue volontairement son esclave, et quoiqu’il fut mon compagnon, je le servois comme mon Maître, je m’efl’orçois de lui marquer mon zèle el mon attachement. Au reste tout abattu qu’il étoit par sa nouvelle condition, il y avoit dans sa physionomie quelque chose de grand et d’élevé : ses yeux à demi éteints laissoient échaper un certain éclat qui sembloit exercer ses droits et dominer souverainement sur l’obscurité de mon étoile. On voyoit briller sur son visage une dignité naturelle et je ne sçais quelle autorité qui me soûmettoit d’abord à lui, et je suivois avec plaisir les impressions de cet ascendant. Ce jeune homme bien né sentit bientôt toutes les obligations qu’il m’avoit. et ce que la pitié m’insl piroit pour lui. Toutes les fois que je lui rendois quelque service, je remarquois la peine qu’il avoit de ne pouvoir me rendre la pareille, et tout confus de mes bontés, il me remercioit avec ces grâces et ce tour heuieux d’expression que donne la politesse des Cours. Comme il avoit beaucoup de douceur dans l’esprit et dans le caractère, qu’il avoit l’entretien fort aimable, la figure charmante, et toute la beauté qui peut rendre un mortel adorable, je ne fus pas long-lems sans passer de la compassion à l’amour. Il est vrai que. quoique mon cœur n’eut jusqu’alors reçu aucune atteinte, la blessure d’abord ne fut pas profonde, l’amour n’en avoit point encore forcé les derniers retranchcmens : il essayoit ses cruelles armes sur mon imagination où sa flame avoit pris naissance : ma raison sentit les progrès de cette flame, et, d’intelligence avec son ennemi, lui livra mon cœur sans rendre de combat.

Le début de cette agréable Histoire avoit rendu toute la Compagnie attentive au récit de Larisse, et principalement deux jeunes Filles ; mais elles feignoient d’être distraites, pour ne point