Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/55

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sans s’en appercovoir, au terme de sa course ; le dernier pas de l’autre est une chute affreuse au sommet de la vie dans l’abîme du néant. Triste effet d’une imagination déréglée, qui sans cesse transporte l’homme de la place qu’il occupe à celle qu’il désire. Touttes les armes de la philosophie ne sont pas trop fortes pour combatre ce penchant : malheur inévitable des esprits foibles, fléau éternel des femmes, qui, jamais, ne trouvent dans leur esprit les ressources nécessaires pour vaincre leur imagination. Et quel spectacle hideux présente cette femme effrénée, dont l’âge n’a pu modérer les désirs, et qui recherche encore un plaisir qu’elle ne peut plus faire partager ! Que de peines lui sont préparées, à combien d’humiliations elle doit s’attendre. L’homme, dans ce même cas, n’est pas moins ridicule ; mais il peut être moins malheureux ; il possède un reste de puissance, le vil intérêt lui fera trouver une fille complaisante, qui aidera sa vanité à lui faire illusion ; il sera le jouet de tout ce qui l’entoure, mais il pourra l’ignorer ; il n’aura pas le sentiment de son état. La femme n’a pas même cette ressource douteuse ; en vain, a-t-elle emploïé les mêmes moyens pour s’attacher un homme ; il perd, entre ses bras, la force qu’il avoit promise ; il reste mort, entre elle et sa fortune. Heureuses les femmes qui, par un travail pénible, parviennent au moins à donner le change à leur imagination ardente, et scavent le détourner sur des objets non moins futiles, mais analogues à leur âge ; plus heureuse la femme naturelle, qui n’a à redouter aucun de ces malheurs. L’imagination des femmes sociales fait naître leurs sens et