Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/60

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élève, elle abaisse à son gré, elle tourne en se jouant la roüe de la fortune ; elle a jeté un regard de colère sur l’homme puissant, et son pouvoir s’est évanoui ; elle a tendû la main à l’homme accablé et proscrit, et il est devenu puissant et honoré. Les plus grands événements de l’histoire ne sont le plus souvent que l’effet de ses caprices ; elle paroit désirer et déjà tout est en mouvement ; elle dit, et les obstacles disparoissent. À ces traits qui ne reconnoit la maîtresse d’un roi ? Tel est en effet le spectacle qu’elle présente à la foule qui la contemple et qui l’envie ; mais l’observateur attentif n’est pas séduit par ces apparences trompeuses ; il voit cette femme, il la scait idole et victime de la fortune, disposer de tout, hors d’elle-même, forcée de paroitre gaie quand elle est triste, tendre, quand son cœur est froid, folâtre et enjouée, quand l’humeur la domine, confiante et tranquille, quand mille craintes l’obsèdent ; il la voit placée entre des mécontents et des ingrats ; il l’écoute se répéter avec amertume ce vers si connû : j’ai des adulateurs et n’ai pas un ami[1] ; il écoute ses sanglots étouffés ; il remarque ses larmes encore mal essuiées ; il

  1. La maîtresse chérie d’un monarque puissant, attaquée de la maladie dont elle mourut, voulut connoitre son état qu’on s’obtinoit à lui cacher ; elle emploia un moien bien simple ; chaque jour, elle se faisoit rendre compte des personnes qui venoient chez elle ; pendant longtemps, on lui nommoit toutte la cour ; un jour, enfin, on ne lui cita qu’une personne. Quoi, lui seul ? dit elle. Seul, lui répondit on. Alors, reprit elle aussitôt, il faut mourir, je suis condamnée. Elle ne se trompoit pas et mourut en effet, peu d’heures après.
    Note de Ch. de L.