Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/64

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Oui, car tous les malheurs viennent de la société, et qu’importe qu’il y eût des vertûs dans l’état de nature s’il y avoit du bonheur, si l’homme, dans cet état, étoit seulement moins malheureux qu’il ne l’est ? La liberté, la santé, la force, ne sont elles pas préférables à la mollesse, à la sensualité, à la volupté même ? Accompagnée de l’esclavage, la privation des peines vaut bien l’usage des plaisirs, et pour être heureux que faut-il, sinon de ne rien désirer ? »

Telle est l’objetion que M. de Buffon se propose.

Nous observons d’abord qu’elle ne nous paroit pas faite avec sincérité. Pourquoi, par exemple, accorder la volupté exclusivement à l’homme social ? Quelque sens que l’on veuille donner à ce mot, on trouvera que la volupté de l’homme naturel, pour être sous une forme qui nous est étrangère, n’en existe pas moins réellement pour lui. La privation des peines vaut bien l’usage des plaisirs. Hé quoi ! l’homme naturel n’a-t-il donc que la privation des peines ? est-il privé de l’usage des plaisirs ? et pour être heureux que faut-il sinon de ne rien désirer. Ce n’est pas en ne rien désirer que consiste le bonheur, mais à obtenir ce qu’on désire. La question gît à scavoir, qui, de l’homme naturel, ou de l’homme social, a plus de facilité pour y parvenir.

Voyons maintenant la réponse de M. de Buffon. « Si cela est (poursuit-il), disons en même temps qu’il est plus doux de végéter que de vivre, de ne rien appéter que de satisfaire son appétit, de dormir d’un someil apathique, que d’ouvrir les yeux pour voir et pour