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Page:Lacombe - Introduction à l’histoire littéraire, 1898.djvu/246

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INTRODUCTION A L’HISTOIRE LITTERAIRE.

contraire, ils finissent par des concessions. Voltaire jeune, dans son Œdipe, critique vertement, et j’ajoute très justement Sophocle, et à la fin il nous régale, dans sa préface d’ Oreste, de phrases comme celles-ci : « Mais comment imiter cette pompe et cette magnificence vraiment tragique des vers de Sophocle, cette élegance, cette pureté ? » Or Voltaire ne sait pas du tout le grec ; il lit Sophocle dans Mme Dacier. Et ce qui fait ainsi pâmer Voltaire, c’est l’élegance, la magnificence de la prose de Mme Dacier.

Le culte du passé est très inégalement dommageable, selon que la masse des œuvres transmises vient d’une ou de plusieurs littératures. Un peuple qui n’a connu que lui-même, qui n’a dans sa tradition que des œuvres venant de ses ancêtres, comme le Chinois, est dans la plus mauvaise condition possible. Avec un modèle monotone, une longue production risque de peser à la fin d’un poids invincible, et de rendre les esprits incapables, non seulement d’accepter, mais de concevoir des œuvres s’écartant des types séculaires. Nous avons, dans notre histoire, une représentation en petit (heureusement) de ce phenomène, une petite chinoiserie. Ce fut pendant deux siècles la production invétérée de tragédies, coulées dans un même moule, d’où résultait pour beaucoup de Français l’impuissance a comprendre des formes dramatiques autres que la tragédie.

En fin de compte le modèle littéraire est tantôt un adjuvant, tantôt un obstacle ; il sert et il dessert, aide et empêche. Pour s’en étonner, il faudrait ne pas connaitre l’universelle présence de la loi du conflit.

Entre le modèle littéraire et le modèle vivant, ou autrement dit, l’imitation et l’observation directe, l’artiste doit chercher le point de conciliation, de combinaison, le plus favorable : problème délicat, que chaque artiste résout à sa manière, que chaque siècle même, je le répète, a une manière de résoudre, l’une donnant plus à l’imitation, l’autre moins. Comparez par exemple notre littérature du xvie siècle et celle du xviie siècle.