Page:Lacordaire - Œuvres du R.P. Henri-Dominique Lacordaire, tome 2 - Conférences de Notre-Dame de Paris.djvu/21

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l’âme par la vérité. Et quand l’homme a reconnu son bien, quand il est riche de la vérité, il n’échangerait pas le sort qu’elle lui a fait contre toute la fortune des rois.

Mais, les parts ainsi faites, que reste-t-il donc flottant superbement à la surface de l’humanité, et capable d’user de sa raison pour se reconstruire soi-même ? Quelques hommes privilégiés, qui ont reçu du Ciel le génie, chose rare, la fortune, chose moins rare, mais qui pourtant l’est aussi, et enfin des dispositions innées à un travail soutenu. Génie, fortune, travail, trois conditions nécessaires pour devenir une intelligence supérieure. Voilà ceux qui pourraient rejeter les idées venues par l’enseignement, pareils à l’aigle qui, prenant son aiglon dans ses serres, s’il voit qu’il ne peut fixer le soleil, le rejette à terre comme un vil fardeau. Mais ceux-là ont beau faire, la captivité pèse aussi sur leur tête. Ce n’est pas chaque homme seulement qui se trouve enseigné, ce sont encore les nations et les siècles. Après avoir vaincu sa nourrice et ses maîtres, il reste à l’homme de génie une autre tâche, celle de vaincre sa nation et son siècle.

Le peut-il ? Cela s’est-il vu ? Regardez autour de vous : quel homme, si grand qu’il soit, ne porte pas sur son front le signe de son peuple et le signe de son siècle ? Je vous le demande à tous, qui que vous soyez, seriez-vous ce que vous êtes si vous étiez nés il y a six cents ans ? Il y a six cents ans, cette même cathédrale où vous venez entendre la parole divine