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Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/130

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noix à la quête de ce singe qui lui gardait rancune et le mordait du regard. Charles d’Assoucy savait par cœur tous les airs du Savoyard, tous les contes des bateleurs, tous les horoscopes des devins, tous les programmes des charlatans émérites, mais il trouvait tant de plaisir, sur le Pont-Neuf, qu’il évitait d’y chercher de la peine : il restait honnête, au milieu des escrocs et des voleurs qui y tenaient leurs assises quotidiennes, diurnes et nocturnes ; il respectait les poches les plus béantes, et s’abstenait même de faire le moindre tort aux boutiques des marchands, qui ne le voyaient pas de meilleur œil.

C’était dans tous les quartiers de Paris qu’il allait ramasser çà et là de quoi satisfaire sa gourmandise ; il enlevait une oie aux rôtisseries du Châtelet, dérobait des fruits aux Halles, dégustait les ragoûts des sauciers, et pénétrait jusque dans le couvent des Augustins pour décrocher leurs jambons ; en un mot, une fois hors du Pont-Neuf, il vivait largement aux dépens du prochain, et, tout jeune qu’il fût, buvait autant de vin que son ivrogne de père, sans financer d’un liard ; mais il était libéral du bien d’autrui et volait toujours au delà de ses besoins, pour ses frères et petits amis, qui le suivaient à distance, comme une nuée de corbeaux à la trace d’un cerf blessé. Le Pont-Neuf était le rendez-vous général, où Charles d’Assoucy distribuait son butin et mystifiait plaisamment quelque digne badaud pour la récréation de son cortège ordinaire qu’il nourrissait de ses larcins.

Un beau matin de mai de l’année 1616, il arriva sur le Pont-Neuf, avant que Fagottini, son singe et ses marionnettes fussent levés. Il y avait déjà une belle assemblée