Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/162

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Le lendemain, il suivit, en silence et la tête basse, Fagottini, qui avait, ce jour-là, le regard plus louche et plus faux, le sourire plus moqueur, le teint plus enluminé et l’abord plus impudent qu’à l’ordinaire ; tous deux montèrent sur le théâtre, veuf de ses acteurs mécaniques, et la toile fut tirée, aux sons du luth que d’Assoucy pinçait dans la coulisse.


Le Savoyard et son page, enchantés du lâche coup de main qu’ils avaient fait pendant la nuit pour ruiner Fagottini, jouissaient d’avance de la situation critique à laquelle ils croyaient avoir réduit l’inventeur des marionnettes : ils se regardèrent avec étonnement, en reconnaissant le luth d’Assoucy qui jouait un de leurs airs ; ils ne doutèrent pas que leur élève ne fût passé dans le camp de l’ennemi. Mais l’apparition d’un musicien nègre, qui remplaçait le singe mort, déconcerta leurs espérances et les découragea tout à fait, en leur montrant que Fagottini n’était pas à bout de ressources, puisqu’il semblait avoir déjà trouvé le moyen de faire face à la perte de son industrie. Ils se reprochèrent même l’inutile destruction des marionnettes, lorsqu’ils virent la curiosité du public, alléchée par un nouveau spectacle, rassembler autour du théâtre de leur rival une foule plus nombreuse et plus impatiente que jamais, dans l’attente de ce spectacle. Les assistants cherchaient des yeux le singe et les automates de Fagottini ; on s’informait bien des causes de leur absence, attribuée à quelque indisposition subite de ces acteurs, mais on se demandait aussi à quel rôle était destiné ce nègre, qu’on n’avait pas encore vu sur la scène de Fagottini, et déjà chacun s’apprêtait