Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/180

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la question par un bon mot et citait les vieux auteurs français, Clément Marot et Rabelais, au lieu des Pères de l’Église. L’oncle riait en le grondant et finissait par rire sans le gronder, ce qui encourageait le neveu à continuer cette vie débauchée, qu’il passait au jeu de paume et au cabaret, rendez-vous ordinaire des seigneurs à la mode, en même temps que dans les ruelles et les bureaux d’esprit : c’est ainsi qu’on appelait les chambres et les salons des hôtels de la place Royale, où les beaux esprits et les précieuses tenaient leurs assemblées. Scarron jouait et buvait, le matin et le soir ; il menait de front la danse, la musique et la poésie : aussi, malgré sa jeunesse, était-il recherché pour ses talents et sa galanterie, dans ces assemblées qui composaient la belle compagnie à la mode. Il dépensait, en rubans, en passements d’or ou de soie, l’argent qu’il avait et surtout celui qu’il n’avait pas, car il empruntait sur son canonicat futur, pour avoir une toilette élégante conforme à sa bonne mine : enfin, à l’âge de dix-sept ans, il s’était déjà battu trois fois en duel. Étrange éducation pour un abbé !


À cette époque, le titre d’abbé, équivalant à un titre de noblesse, ne prescrivait rigoureusement rien autre chose que le célibat ; on avait une abbaye comme une ferme, et un abbé pouvait être courtisan, militaire, artiste, tout enfin, excepté homme d’église. On ne distinguait les abbés dans le monde qu’à leur petit collet et à leur costume noir. Il en était de même pour certaines abbesses, que la possession d’une abbaye ne rendait ni moins coquettes, ni moins aimables, et qui vivaient dans le monde plus librement que dans leur abbaye. Le roi nommait seul aux bénéfices, qu’il distribuait