Aller au contenu

Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
la convalescence du vieux conteurs.

tain bouquin précieux, qu’il m’apportait d’une promenade le long des quais. Le sens de la bibliomanie paraissait le dernier que j’eusse à perdre ; après lui, je n’avais plus qu’à rendre l’âme. Déjà, j’étais réduit à la condition de cadavre animé, absolument privé d’appétit et d’aliments, desséché jusque dans la moelle des os ; je dépensais mes interminables journées à ne rien faire, assis au milieu des oreillers ; et mes nuits, plus pénibles encore, sans fermer la paupière. J’étais si horriblement maigre, qu’on aurait pu étudier l’anatomie à travers la peau tendue et transparente de mon squelette.

Dans cet anéantissement de mes facultés, lequel avait résisté à toutes les ressources médicales, mon docteur proposa de m’envoyer à la campagne pour me remettre entre les mains de la Nature à qui en appelle souvent Hippocrate : le mal venait de l’abus du système intellectuel ; la matière avait besoin de rentrer dans ses droits et dans son équilibre. On me prescrivit donc, pour remplacer les juleps et les sirops, un air vif et pur, – le départ de Paris, bien entendu, – des exercices gradués, propres à rétablir la vigueur du corps en la sollicitant, une alimentation sobre et frugale, l’abandon complet de tout travail d’esprit, et même l’oubli des objets matériels de mes affections littéraires. C’était une pénitence difficile, et, pour y satisfaire, je me résignai à m’enfuir, sans dire adieu à mes bouquins ; cette séparation m’aurait trop coûté. On m’entraîna, malgré moi, loin de cette partie de