Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/191

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père, vieux conseiller au Parlement, qui ne devait pas être connu personnellement dans cette société toute aristocratique, mais la crainte de recevoir un démenti en face l’arrêta court, pour l’honneur de la magistrature. Cependant il fallait répondre, et son silence, en se prolongeant, quoiqu’il eût encore la bouche pleine, était de nature à diminuer la bonne opinion qu’on avait conçue de lui en raison de sa belle humeur. Comme il composait assez facilement les vers, pour sortir d’embarras par un madrigal et une cabriole, voici ceux qu’il improvisa, en les récitant d’une voix sympathique :


Je suis le diable Lucifer,

À votre service, Madame,

Qui brûle à vos regards de flamme,

Et ne regrette point l’enfer,

Trouvant bon ce siècle de fer :

Quoiqu’il espère, par sa danse,

Plaire à tant d’objets pleins d’appas,

Son habit met en évidence

Qu’en fait de cornes, il n’a pas

La belle corne d’abondance.


La poésie du diable eut autant de succès que sa danse, et un poète de l’école de Malherbe, qui était là pour figurer Apollon, eut la modestie d’avouer que ce diable-là l’avait détrôné en dix rimes. Scarron, échauffé par les éloges, par le bruit, par la foule, et surtout par le vin d’Espagne, que la déesse Hébé lui versait à pleine coupe, éparpilla les madrigaux et les quatrains, avec une vivacité d’improvisation qui aurait pu lui tenir lieu de tout autre mérite ; ses plus jolis vers, inspirés par un esprit galant et facétieux, coulaient de source, et les dames ne se lassaient pas de « puiser à cette source vivante de douceurs, sans