Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/318

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lui qui jetait du poivre dans leur soupe et qui enlevait la viande sur leur assiette. C’était lui surtout qui les induisait en erreur pour les heures de travail, en allant déranger la marche de l’horloge du collège. En un mot, il était sans pitié pour ces deux êtres inoffensifs, respectables par leur âge comme par leur habit. Un jour, il enferma le muet dans le donjon de l’horloge, où personne ne remarquait d’en bas les signes désespérés par lesquels le prisonnier réclamait sa délivrance, tandis que son collègue était emprisonné dans un souterrain, aussi sourd que lui, au fond duquel il serait mort d’inanition, si un tonnelier qui travaillait près de là ne fût accouru à ses cris.


Le Père Griffon, le sourd, avait vieilli dans le collège que sa robe noire balayait depuis cinquante ans, sans y avoir ramassé la moindre instruction. Il était chauve, louche, et remarquable par son nez de rubis ; il buvait sec et fréquentait la cave du principal, qui, disait-on, était trop bon chrétien pour ne pas s’apercevoir que son vin avait été baptisé. Le Père Griffon, renommé pour sa dextérité à manier les verges de bouleau et le fouet à lanières de cuir, avait besoin de se donner des forces, qu’il n’eût point tirées d’une nourriture trop frugale ; aussi mangeait-il de la chair de porc, en jambons, en andouilles et en saucisses, avec d’autant meilleur appétit, qu’il n’avait pas à observer la religion juive.


Quant au Père Frémion, le muet, qui ne cultivait pas moins attentivement les sensualités de l’estomac, il était de haute taille, maigre, pâle et jaune. Malgré la servilité de ses attributions, il passait pour avoir accueilli ça et