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Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/38

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une bonne action de rabelais

avec le duc et la duchesse de Guise. Le jour commençait à baisser, et l’on voyait dans le lointain les vapeurs du soir monter et s’étendre au dessus des bois qui environnaient le village. En approchant d’un sentier qui conduisait dans la forêt, Rabelais crut entendre des sanglots étouffés, et il aperçut à quelque distance une jeune fille immobile au pied d’un arbre. Il s’approcha rapidement et retint par le bras cette jeune fille qui se disposait à s’enfuir.

— Vous pleurez, mon enfant ? lui dit-il avec douceur. Avez-vous donc sujet de pleurer, à votre âge où tout est si bon et si beau dans la vie ! Quelle est la cause de vos larmes ? Je serais heureux de pouvoir les essuyer et de vous faire gaie et joyeuse.

— Est-ce que je pleure, mon très honoré seigneur ? dit-elle, en dévorant ses sanglots. Je ne pleure pas, reprit-elle avec un accent de dépit et de colère, non, je ne pleure pas, mais les gens de ce pays sont bien méchants !

— Ils sont comme partout, pauvre petite ! répliqua Rabelais, qui regardait avec intérêt cette jeune fille, misérablement vêtue, mais dont la physionomie intelligente ne manquait ni de distinction ni de fierté. Il y a sans doute plus de méchants que de bons, mais aussi il y a plus de bêtes que de méchants. Vous a-t-on fait du mal ? Auriez-vous à vous plaindre de quelqu’un ? C’est un devoir pour moi de vous faire rendre justice et de vous prendre sous ma protection.

— Vous pleurez, mon enfant ? lui dit-il avec douceur.

— Il faut que vous ne soyez pas de ce pays-ci, monseigneur, pour être aussi bon que vous êtes, dit l’enfant, reprenant confiance et se hasardant à regarder en face Rabelais qui la regardait également avec bonté. Je n’ai