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une bonne action de rabelais

entrelacés assez ingénieusement et entremêlés de bruyère et d’épines. Rabelais dit à son sacristain de rester en arrière avec l’ânesse et d’attendre qu’on le vînt avertir d’apporter le panier de provisions. Le pauvre Guillot vit avec terreur qu’on allait le laisser seul dans un endroit aussi désert et aussi mal famé : il se mit à pleurer, comme un enfant peureux.

— Que vais-je devenir ici ? disait-il tout éploré. Il y aura quelque sorcier qui me tordra le cou, sinon quelque sorcière qui m’emportera en enfer sur son balai ! Monsieur le curé, ayez pitié de moi et ne m’abandonnez pas, sans m’avoir donné l’absolution.

— Tant que tu resteras avec l’ânesse, tu n’as rien à craindre, lui cria Rabelais en s’éloignant : le diable respecte les bêtes et les tient pour ce qu’elles sont, en se disant qu’il n’y a pas là d’âme à prendre !

On regardait avec surprise ce bizarre cortège.

L’enfant avait quitté la main du curé et courait en avant pour prévenir sa famille : la porte de la cabane était ouverte, mais on ne voyait paraître que la jeune fille, rouge d’émotion et tremblante d’embarras, que son frère poussait devant lui, en l’empêchant de se dérober à cette présentation inattendue et forcée. Rabelais remarqua que cette fille était fort belle sous ses haillons ignobles et que sa figure intéressante se recommandait par une expression de candeur pudique et de noble fierté. Il fut touché de commisération, en s’apercevant que cette pauvre jeune fille avait à peine les vêtements indispensables pour se préserver des atteintes du froid.

— Mon enfant, lui dit Rabelais avec douceur et intérêt, je vous prie de vouloir bien prévenir votre père et votre