Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/69

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Mais Chateaubriand, à l’exception d’une petite chanson fort connue et d’une pièce de théâtre justement inconnue, n’écrivit qu’en prose. Il restait encore à briser le moule du vers classique, à assouplir le vers à une nouvelle harmonie, à l’enrichir d’images, d’expressions et de mots que possédait déjà la prose courante et à ressusciter les vieilles formes de la poésie française. Victor Hugo, Lamartine, Musset, Vigny, Gautier, Banville, Baudelaire et d’autres encore se chargèrent de cette tâche. Hugo, aux yeux du gros public, accapara la gloire de la pléiade romantique, non parce qu’il fut le plus grand poète, mais parce que sa poétique embrasse tous les genres et tous les sujets, de l’ode à la satire, de la chanson d’amour au pamphlet politique : et parce que, il fut le seul qui mit en vers les tirades charlatanesques de la philanthropie et du libéralisme bourgeois. Partout il se montra virtuose habile. Ainsi que les modistes et les couturières parent les mannequins de leurs étalages des vêtements les plus brillants, pour accrocher l’œil du passant, de même Victor Hugo costuma les idées et les sentiments que lui fournissaient les bourgeois, d’une phraséologie étourdissante, calculée pour frapper l’oreille et provoquer l’ahurissement ; d’un verbiage grandiloquent, harmonieusement rythmé et rimé, hérissé d’antithèses saisissantes et éblouissantes, d’épithètes fulgurantes. Il fut, après Chateaubriand, le plus grand des étalagistes de mots et d’images du siècle.

Ses talents d’étalagiste littéraire n’eurent pas suffi pour lui assurer cette admiration de confiance, si