Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/71

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La mise en scène de sa mort est le couronnement de sa carrière de comédien, si riche en effets savamment machinés. Tout y est pesé, prévu ; depuis le char du pauvre dans le but d’exagérer sa grandeur par cette simplicité et de gagner la sympathie de la foule toujours gobeuse, jusqu’aux cancans sur le million qu’il léguait pour un hôpital, sur les 50 mille francs pour ceci, et les 20 mille pour cela, dans le but de pousser le gouvernement à la générosité et d’obtenir des funérailles triomphales sans bourse délier.

Les bourgeois apprécièrent hautement ces qualités de Hugo, si rares à trouver réunies chez un homme de lettres : l’habileté dans la conduite de la vie et l’économie dans la gestion de la fortune[1]. Ils reconnurent dans Hugo, couronné de l’auréole du martyre et flamboyant des rayons de la gloire, un homme de leur espèce et plus on exaltait son dévouement au Devoir, son amour de l’idée et la profondeur de sa pensée, et plus ils s’enorgueillissaient de constater qu’il était pétri des mêmes qualités qu’eux. Ils se

  1. Un bout de conversation saisi au vol dans la foule du premier juin :
    Premier bourgeois. — Hugo, devait être diantrement riche pour que l’État lui fasse de telles funérailles : ce n’est pas pour un génie pauvre qu’il ferait tant de dépenses.
    Deuxième bourgeois. —Vous avez bien raison. Il laisse, dit-on, cinq millions.
    Premier bourgeois. — Mettons en trois, car on exagère toujours, et c’est bien beau. Il faut avouer qu’il était plus intelligent que les hommes de génie, qui ne savent jamais se retourner et ne laissent jamais de fortune.
    Le Temps du 4 septembre 1885 fournit les renseignements suivants sur la fortune de Hugo :
    « La succession liquidée de Victor Hugo s’élève approximativement à la somme de cinq millions de francs. On pourra se faire une idée de la rapidité avec laquelle s’accroissait la fortune du maître quand on saura que celui-ci réalisa, en 1884, onze-cent mille francs de droits d’auteur.
    Ajoutons que celui des testaments de Victor Hugo qui contient la clause d’un don de cinquante mille francs aux pauvres de Paris est tout entier écrit de sa main, qu’il est terminé et daté, mais non signé. » Donner 50000 francs aux pauvres, même après sa mort, dépassait ce que pouvait l’âme généreuse et charitable de Victor Hugo. Au moment de signer le cœur lui manqua.