Page:Lafargue - Le Droit à la paresse.djvu/16

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C’est de l’Alsace manufacturière que parle le Dr Villermé, de l’Alsace des Kestner, des Dollfus, ces fleurs de la philanthropie et du républicanisme industriels. — Mais avant que le docteur ne dresse devant nous le tableau des misères prolétariennes, écoutons un manufacturier alsacien, M. Th. Mieg, de la maison Dollfus, Mieg et Cie, dépeignant la situation de l’artisan de l’ancienne industrie : « À Mulhouse, il y a cinquante ans (en 1813, alors que la moderne industrie mécanique naissait), les ouvriers étaient tous enfants du sol, habitant la ville et les villages environnants et possédant presque tous une maison et souvent un petit champ. »[1] C’était l’âge d’or du travailleur. — Mais alors l’industrie alsacienne n’inondait pas le monde de ses cotonnades et n’emmillionnait pas ses Dollfus et ses Kœchlin. Mais, vingt-cinq ans après, quand Villermé visita l’Alsace, le minotaure moderne, l’atelier capitaliste, avait conquis le pays ; dans sa boulimie de travail humain, il avait arraché les ouvriers de leurs foyers pour mieux les tordre et pour mieux exprimer le travail qu’ils contenaient. C’étaient par milliers que les ouvriers accouraient au sifflement de la machine. « Un grand nombre, dit Villermé, cinq mille sur dix-sept mille, étaient contraints, par la cherté des loyers, à se loger dans les villages voisins. Quelques-uns habitaient

  1. Discours prononcé à la Société internationale d’études pratiques d’économie sociale de Paris, en mai 1863, et publié dans l’Économiste français de la même époque.