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Molière, pour s’être si complaisamment plié aux caprices et aux exigences de la protection royale. Pouvait-il agir autrement, après tant de bienfaits reçus ? Est-il certain surtout qu’il eût envie de faire autrement ? Homme d’action autant que de pensée, habile à se servir des gens autant qu’à disposer des choses, ne semble-t-il pas, au contraire, qu’il ait trouvé, dans ces récréations improvisées, d’heureuses satisfactions pour les besoins de son génie inventif autant que pour ceux de son amour-propre ? À voir l’entrain qu’il y déploie, comment s’imaginer qu’il en ait tant souffert ? Dans ces ballets tour à tour mythologiques, allégoriques, bouffons, son imagination, délivrée de toutes les règles imposées au théâtre, échappant aux chaînes des unités, se mouvait avec plus d’aisance et pouvait se laisser plus franchement aller à toutes sortes de hardiesses et d’innovations. Ces alternatives de gravité mélancolique et d’explosions de joie, ne s’étaient-elles pas déjà naturellement succédé dans son œuvre, comme elles se succédaient dans sa vie ? Chaque fois qu’il avait éprouvé quelque déboire à l’occasion de ses grandes œuvres, ne l’avait-on pas vu remonter, avec des éclats de rire bruyants, sur ses tréteaux de paradiste, pour se venger des autres et de lui-même, en reprenant des forces pour continuer la lutte ?

Si nous allons voir maintenant se succéder, presque régulièrement, le grave au bouffon, la farce à la poésie, que l’inspiration vienne du roi ou qu’elle vienne de lui, nous y reconnaîtrons une liberté d’esprit conforme aux éternels et doubles instincts de la nature humaine, mieux gardée par les hommes