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LETTRES 1883-1887

heureux que je n’aurais jamais imaginé. (Je ne l’ai pas encore embrassée, — hier, j’étais assis près d’elle en voiture, dans la soirée, et en la regardant l’idée m’est venue que je pourrai caresser ses cheveux, — et j’en ai eu le vertige, et je n’en suis pas encore là — loin de là.)

Mais il faut que je te raconte tout, car je n’ai que toi, et un de ses premiers mots après que je me suis déclaré a été pour que je t’écrive tout de suite. Elle, de son côté, elle écrit à son frère favori.

Je t’ai dit qu’elle est anglaise. Elle a beaucoup de sœurs mariées ou non, et des frères (un avocat à Folkestone, un autre pasteur dans la Nouvelle-Zélande, un autre officier dans le Zoulouland, etc.). Sa mère est morte, il y a quatre ans. Son père se remaria contre le gré de ses enfants, qui tous le quittèrent.

Elle, elle vint en Suisse dans un pensionnat (elle y a appris très bien le français), puis elle est venue ici à Berlin où elle est depuis deux ans, — vivant moitié de ce qu’elle reçoit de son père, moitié de ce que lui rapportent ses leçons. C’est dans la seconde semaine de janvier que je suis venu chez elle prendre des leçons. — Je suis le seul homme à qui elle en ait donné (je lui étais recommandé par une amie) et le seul par conséquent qui venait chez