Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/35

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sur ce qu’elle pourrait bien faire par la ville à cette heure.

On ne reconnaît guère le prince Hamlet à Elseneur. On hésite, on ne salue pas. Et d’ailleurs, sa petite personne... Jugez plutôt.

De taille moyenne et assez spontanément épanoui, Hamlet porte, pas trop haut, une longue tête enfantine ; cheveux châtains s’avançant en pointe sur un front presque sacré, et retombant, plats et faibles, partagés par une pure raie droite, celer deux mignonnes oreilles de jeune fille ; masque imberbe sans air glabre, d’une pâleur un peu artificielle mais jeune ; deux yeux bleu-gris partout étonnés et candides, tantôt frigides, tantôt réchauffés par les insomnies (fort heureusement, ces yeux romanesquement timides rayonnent en penseurs limpides et sans vase, car Hamlet, avec son air de regarder toujours en dessous comme cherchant à tâter d’invisibles antennes le Réel, ferait plutôt l’effet d’un camaldule que d’un prince héritier du Danemark) ; un nez sensuel ; une bouche ingénue, ordinairement aspirante, mais passant vite du mi-clos amoureux à l’équivoque rictus de gallinacés, et de cette moue dont les coins sont tirés par les boulets de la galère contemporaine au rire irrésistiblement fendu d’un joufflu gamin de quatorze ans ; le menton n’est, hélas ! guère proéminent ! guère volontaire, non plus, l’angle du maxillaire inférieur, sauf aux jours d’ennuis immortels où la mâchoire alors, portant en avant et les yeux par cela même reculant dans l’ombre du front vaincu, tout le masque rentre, vieilli de vingt ans. Il en a trente. Hamlet a les pieds féminins ; ses mains sont solides et un peu tortues et crispées ; il porte une