Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/74

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vit que penché sur le bord de ses yeux, tantôt aigus comme ceux des inapprivoisables oiseaux des Atlantiques, tantôt en brouillard de goudron, et penché sur les veines bleuâtres de ses tempes, bleuâtres comme des éclairs de chaleur, et la servant à table, la promenant, lui apportant chaque matin un bouquet sans soucis, lui montrant des images coloriées, lui jouant au piano les petites choses norvégiennes d’un album de Kjerulf, lui faisant des lectures d’une voix toute spontanée.

Justement Patrick, en attendant l’arrivée de la procession, et pour ne pas faire trop attention à quelques grossiers indiscrets stationnant au bas du perron, achève à sa sœur une lecture de Séraphita.

— .... « Comme une blanche colombe, une âme demeura un instant posée sur ce corps... »

— C’est facile à décrire ! dit Ruth ; non, c’est décidément de la basse confiserie séraphique, cette étude ; cela sent Genève où ça a été composé. Et ce messager de lumière qui a une épée et un casque ! Pauvre, pauvre Séraphita ! non, ce Balzac au cou de taureau ne pouvait pas être ton frère.

Et sublime de réserve, Ruth se remet à fourrager d’une main dans les roses-thé qui jonchent le damier noir et blanc de sa couverture, jouant de l’autre avec une étrange plaque émaillée qui semble cadenasser d’ésotérisme sa poitrine sans sexe.

Étrange, étrange, en effet, cette plaque d’émail qu’elle caresse sur sa poitrine sans sexe ! Approchons-nous, de grâce ; c’est un émail champlevé, d’un goût barbare et futur, un