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Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/233

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ses, sans y penser. Quel malheur pour un honête homme d’estre obligé de profaner les Saints pour sauver sa vie ? Il est vray que j’ay dirigé mon intention en cela. Néanmoins, j’en ay demandé pardon à Dieu. Or ceci vous fait voir qu’un mensonge bien habile fait dans l’esprit du Vulgaire ignorant, des impressions que la vérité toute nue ne scauroit faire. Quelle pitié qu’un Curé ne sçache pas son Cathéchisme ! pendant qu’il avale des fables pour des miracles. C’est l’affaire des Evêques, & non pas la mienne : il en est de ces Prélats comme des Officiers de guerre, plusieurs le sont par faveur, plutôt que par mérite. La plûpart s’attachent à la sçience de plaire à leurs Souverains, au lieu de plaire à Dieu. Vouloir réformer ces abus, c’est prétendre avaler toute l’eau de la Mer. Je n’en dis pas d’avantage ; car ceci ne me touche pas. Ainsi, je reprens le fil de mon Avanture, en vous disant que je louay deux Mules, l’une pour mon Guide, & l’autre pour moy. Mon cheval étoit si fatigué des éforts qu’il avoit été obligé de faire pour me sauver, que la reconoissance vouloit que je le traitasse, avec toute sorte de douceur & d’humanité, puisqu’il l’avoit si bien mérité par ses bons services. Cependant, la nuit, qui me paroissoit un siécle, tant je craignois l’aproche de l’Engeance Prevôtale, me donna plus de temps qu’il n’en faloit pour demander pardon à Dieu de l’invention dont je m’estois servi, sous les auspices de ses Saints, pour me tirer d’affaire. Dans cette situation je mettois incessamment la teste à la fenestre,