Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ajoûte-tu, à toute jambe ; il n’y a rien de si naturel, quand le nombre des ennemis est triple, que de s’enfuir ; à la vérité la fatigue de courir nuit & jour, sans manger, est terrible, mais il vaut bien mieux prendre ce parti que d’estre esclave. Je croy que ces extrémitez seroient horribles pour des Européans, mais elles ne sont quasi rien à nostre égard. Tu finis en concluant que les François nous tirent de la misére, par la pitié qu’ils ont de nous. Et comment faisoient nos Péres, il y, a cent ans, en vivoient-ils moins sans leurs marchandises ; au lieu de fusils, de poudre, & de plomb, ils se servoient de l’arc & des fléches, comme nous faisons encore. Ils faisoient des rets avec du fil d’écorce d’arbre ; il se servoient des haches de pierre ; ils faisoient des coûteaux, des aiguilles, des Alesnes &c. avec des os de cerf ou d’élan ; au lieu de chaudiére on prenoit des pots de terre. Si nos Péres se sont passez de toutes ces marchandises, tant de siécles, je croy que nous pourrions bien nous en passer plus facilement que les François ne se passeroient de nos Castors, en échange desquels, par bonne amitié, ils nous donnent des fusils qui estropient, en crevant, plusieurs Guerriers, des haches qui cassent en taillant un arbrisseau, des coûteaux qui s’émoussent en coupant une citroüille, du fil moitié pourri, & de si méchante qualité, que nos filets sont plûtôt usez qu’achevez, des chaudières si minces que la seule pesanteur de l’eau en fait sauter le fond, Voilà, mon Frére, ce que j’ay à te répondre sur les miséres des Hurons.