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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/174

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du vieux temps

de traditions du douzième siècle : « Tuit li plus haulz hommes l’appeloient le sainct prophète et toutes les menues gens leur Dieu[1]. » — Au reste, l’enchanteur Merlin était loin d’être un étranger pour nos pères, car il est dit dans sa légende qu’il accompagna le roi Arthur dans nos contrées, lorsque ce dernier vint mettre à la raison le roi du Berry, qui ne voulait plus lui obéir[2].

JEAN LE CHANCEUX.

Il y avait une fois un pauvre sabotier qui habitait avec sa femme et son fils, âgé de seize ans, une misérable cabane située près de la lisière d’une immense forêt. De douze enfants que sa femme avait mis au monde, il ne lui restait plus que ce garçon, auquel, pour cette raison, il avait donné le nom de Jean le Chanceux.

Jean le Chanceux aimait beaucoup son père et sa mère ; mais la solitude où il vivait et le métier sédentaire et peu lucratif de sabotier lui déplaisaient fort. Il aurait voulu employer son temps d’une manière plus profitable, essayer d’un travail moins ingrat, en un mot, chercher au loin, autant pour ses parents que pour lui-même, une meilleure place au soleil. Ces projets dataient de loin, et il s’en était déjà et plus d’une fois ouvert à son père qui avait toujours fort mal accueilli ses confidences à ce sujet. Enfin, un beau jour qu’il venait de mettre la dernière main à une paire de sabots, il s’écria résolûment :

— Voilà, si j’ai bien compté, la trois cent cinquantième paire de sabots que j’ai faite et parfaite depuis que je sais le métier, et je n’en ai pas mieux fait mon chemin pour cela. Je n’y tiens plus, cher père ; je veux voyager, je veux tenter fortune et montrer que ce n’est pas en vain que

  1. Le Roman de Lancelot ; Bibl. imp. de Paris, mss. no 6772.
  2. M. de la Villemarqué, Mirdhinn, ou l’Enchanteur Merlin, p. 196 et 201.