Aller au contenu

Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

141
du vieux temps

— Je n’en sais trop rien, Monsieur ; je me rends à la ville pour tâcher d’y trouver du travail.

— Veux-tu entrer chez moi comme domestique ?

— Je ne demande pas mieux, Monsieur.

— Combien veux-tu gagner ?

— Cinquante écus ; est-ce trop, Monsieur ?

— Non, et je te promets au moins le double, si je suis content de toi ; mais, d’abord, dis-moi, sais-tu lire ?

— Oui, Monsieur, et écrire, s’empressa de répondre le jeune homme, non sans éprouver une certaine satisfaction de lui-même.

— Oh ! alors, mon garçon, tu ne saurais faire mon affaire. J’en suis fâché, tu me plaisais ; mais c’est comme ça.

Et il continua son chemin.

Jean le Chanceux, tout déconcerté, se grattait l’oreille et ne bougeait pas de place, lorsqu’une idée soudaine et passablement audacieuse lui traversa l’esprit.

— Eh ! Monsieur, s’écria-t-il, sans prévoir les suites d’un tel mensonge, il y a mon frère qui vient derrière moi ; il ne sait pas lire, lui, et vous pourrez peut-être vous entendre ensemble.

— Eh bien, je verrai, répondit le petit monsieur sans s’arrêter.

Aussitôt Jean quitte le sentier, s’enfonce dans le fourré et se hâte de rebrousser chemin, afin de se rencontrer de nouveau avec l’étranger. Cependant, il dépouille sa veste, dont l’endroit était gris et l’envers entièrement rouge, la retourne, l’endosse et se retrouve, dix minutes après, devant l’inconnu, qui n’avait pas cessé de suivre le sentier.

Jean le salue comme la première fois, et se range pour le laisser passer, mais sans dire mot. L’homme noir alors se retourne et lui crie :

— Où vas-tu donc par là, jeune homme ?

— Je n’en sais trop rien, Monsieur ; je me rends à la ville