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Je fus éveillé le lendemain matin par toute la tribu, qui vint me présenter les armes. J’acceptai tous ces honneurs, sans mot dire, mais je n’étais pas plus avancé. Je me décidai donc d’apprendre leur langue. Au bout de six mois j’étais maître de leur idiome. Je conversais avec la facilité d’un naturel, au grand étonnement de mes admirateurs. C’est alors que le chef m’expliqua la signification de la réception qu’il m’avait faite. M’ayant entendu planer une partie de la journée dans le brouillard sans me voir et tout à coup descendre à la mer, ils crurent que j’étais le Grand-Esprit, ce qu’ils continuèrent de croire malgré mes dénégations, et me retinrent prisonnier, attendant toujours de moi des prodiges. Si un des leurs venait à mourir, c’était moi qui devais présider la cérémonie et envoyer l’âme du défunt dans le pays des chasses éternelles. Un nouveau garçon venait-il à faire son entrée dans le monde, on m’invitait à la fête. J’en profitai pour baptiser tous les enfants qui naquirent durant mon séjour dans la tribu. Chose étrange, personne ne toucha à mon avion jusqu’à ce que je fus sur le point de partir. Alors ils le mirent en pièces et se distribuèrent les morceaux entre eux.

Je fus toujours traité avec les plus grands égards et je profitai de leurs bonnes dispositions pour essayer de les évangéliser. Je me laissai persuader, pour la forme, que j’étais le Grand-Esprit et que j’étais venu sur la terre pour voir mes enfants qui n’avaient jamais entendu parler de moi. Ils parurent très satisfaits quand j’avouai enfin ce qu’ils croyaient dur comme roche. Je leur promis de leur envoyer une Robe Noire pour les évangéliser.

Il y a trois mois, on se décida de me laisser partir pour aller chercher la Robe Noire ; mais je ne pus faire démarrer mon avion. Les batteries étaient épuisées et l’essence s’était évaporée. C’est alors qu’ils le mirent en pièces.

Je ne savais trop comment quitter ces landes sauvages qui me retenaient depuis trois ans, quand, un jour, j’aperçus dans le lointain un petit bateau fréteur qui vint ancrer à quelques verges du village. Je fis des signes de