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Page:Lamairesse - Kama Sutra.djvu/39

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Et pourrais-tu me méconnaître ?

Non, fils de Maya, non, je connais tes flèches armées de fleurs, la canne redoutable qui compose ton arc, ton étendard où brillent les écailles nacrées, tes armes mystérieuses.

J’ai ressenti toutes tes peines, j’ai savouré tous tes plaisirs.

Tout-puissant Kâmâ, ou, si tu le préfères, éclatant Smara, Ananya majestueux !

Quel que soit le siège de ta gloire, sous tel nom que l’on t’invoque, les mers, la terre et l’air proclament ta puissance ; tous t’apportent leur tribut, tous reconnaissent en toi le roi de l’Univers.

Ta jeune compagne, la Volupté, sourit à ton côté. Elle est à peine voilée de sa robe éclatante.

À sa suite, douze jeunes filles, à la taille charmante, élancée, s’avancent avec grâce ; leurs doigts délicats se promènent avec légèreté sur des cordes d’or, et leurs bras arrondis s’entrelacent dans une danse voluptueuse.

Sur leurs cous élégants, elles disposent des perles plus brillantes que les pleurs de l’aurore.

Ton étendard de pourpre, ondoyant devant elles, fait étinceler dans la voûte azurée des cieux des astres nouveaux[1].

Dieu aux flèches fleuries, à l’arc plein de douceur, délices de la terre et des cieux ! Ton compagnon inséparable, nommé Vasanta chez les Dieux, aimable printemps sur la terre, étend sous tes pieds délicats un doux et tendre tapis de verdure, élève sur ta tête enfantine des arceaux impénétrables aux feux brûlants du midi. C’est lui qui, pour te rafraîchir, fait descendre des nuages une rosée de parfums, qui remplit de flèches nouvelles ton carquois rendu plus redoutable, présent bien cher d’un ami plus cher encore.

À son ordre, doux et caressant, mille oiseaux amoureux, par le charme ravissant de leurs tendres modulations, arrachent à ses liens la fleur encore captive.

Sa main amicale courbe avec adresse la canne savoureuse, y dispose, pour corde, une guirlande d’abeilles dont le miel parfumé est si doux, mais dont l’aiguillon, hélas ! cause de si vives douleurs.

C’est encore lui qui arme la pointe acérée de tes traits qui jamais ne reposent et blessent par tous les sens le cœur et y portent le délire de cinq fleurs :

Le Tchampaca pénétrant, semblable à l’or parfumé ;

Le chaud Arma rempli d’une ambroisie céleste ;

Le desséchant Késsara au feuillage argenté ;

Le brûlant Kétaça qui jette le trouble dans les sens ;

L’éclatant Bilva qui verse dans les veines une ardeur dévorante.

Quel mortel, Dieu puissant, pourrait résister à ton pouvoir, lorsque Krischna lui-même est ton esclave ? Krischna qui, sans cesse énivré de délices dans les

  1. Allusion aux écailles brillantes du poisson qui couronne l’étendard de l’amour indien.