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naissance des choses et une propriété de termes qui faisaient faire silence dès qu’il entrouvrait les lèvres. Il ne cachait pas qu’il avait été employé dans les hautes missions diplomatiques secrètes par les ministres de Louis XV, et peut-être par ce roi lui-même, qui avait une diplomatie en dehors de ses ministres ; on savait aussi qu’il avait habité Constantinople, l’Italie, et surtout la Russie et la Prusse.

Il racontait le grand Frédéric, aussi bien que Voltaire et les philosophes de la colonie de Potsdam pouvaient le raconter eux-mêmes. La conversation ne tombait jamais sur ce roi, sur ce temps, sur cette cour, sans que M. de Valmont ne l’intéressât et ne l’enrichît aussitôt des récits les plus intimes et les plus neufs. C’était une chronique vivante des soupers philosophiques du roi de Prusse, des amours babyloniens de la grande Catherine, et des mœurs mêmes du sérail. Quant à la politique de la France et du moment, il n’en parlait jamais. On était à une époque de réaction religieuse et aristocratique de l’opinion contre les principes de la révolution française. On voyait à sa physionomie, à son silence et à son sourire mal contenu, quand la conversation tombait sur ce sujet, qu’il était resté ferme dans la philosophie de sa jeunesse, et qu’il avait intérieurement pitié de ce commencement du dix-neuvième siècle, qui répudiait tout l’héritage du siècle précédent, sans choisir entre la liberté et la servitude, entre la raison et l’impiété.

On l’écoutait avec intérêt, mais avec une certaine défiance. Quelques personnes avaient d’abord reproché mon oncle de l’admettre à cette intimité d’entretiens très-libres sur le gouvernement ; elles craignaient qu’il ne fût un observateur politique soldé en secret par la tyrannie ombrageuse de Bonaparte. Sa mort, qui arriva