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notes.

ments terribles ; je sautai sur mes pistolets, que j’avais laissés à mes côtés ; et, me retournant brusquement, je me trouvai face à face avec mon adversaire. Nous nous apprêtâmes à notre duel étrange, et nous en étions à ce moment où les combattants ont l’habitude de se saluer avec l’épée avant d’engager la lutte, lorsque mon compagnon, qui était notre seul témoin, termina tout à coup notre querelle par une balle qui étendit mon loup mort à mes pieds.

» — Croirez-vous à l’existence des loups maintenant ? me dit-il en s’approchant de moi.

» — Je n’ai plus de raison pour en douter, lui répondis-je en lui tendant la main. Mais je crois à votre adresse plus encore qu’aux loups, s’il est possible. Vous m’avez évité une rude besogne.

» ........ Malgré tout le temps consumé à cette expédition, nous n’étions encore qu’au crépuscule. J’avais grande envie de voir de nouveau lever le soleil. Un lever de soleil est chose si neuve pour un paresseux de mon espèce ! J’avais lu autrefois dans les Mille et une Nuits, je crois, une magnifique description de l’aurore, et je m’étais longtemps persuadé que le soleil ne se levait que dans l’imagination de la bonne sultane Scheherazade pour ses génies aux cheveux d’or, ses fées aux doux yeux, et pour ses beaux princes dont le visage est inondé de lumière et la chevelure ruisselante de pierreries.

» Je gravis donc le haut point de la côte, et, m’asseyant au pied d’un hêtre, je me laissai aller à la contemplation des scènes si grandes et si nouvelles pour moi que j’avais sous les yeux. Je pouvais, de la hauteur où je me trouvais, embrasser d’un regard le plus vaste et le plus riche paysage. D’un côté, la vallée ou plutôt l’immense plaine du Rhône, sur le revers le bassin de l’Isère, et sur le troisième flanc de la montagne les collines et les vallons qui entourent la petite ville de Chambéry. Où arrêterai-je mes regards ? Là, l’immensité d’une plaine que les brouillards naissants du matin font ressembler à la mer ; ici, la sonore et magnifique vallée de Graisivaudan, qui va sourire au premier rayon du soleil ; là-bas, les collines ondoyantes, les clochers qui percent le feuillage, et le lac du Bourget encore enveloppé dans son manteau de sombres vapeurs. — La nature est belle, mais elle est froide encore, et son sommeil ressemble à la mort, tant elle dort profondément. Aucun souffle ne balance la cime des forêts ; les eaux ont perdu leurs murmures sonores ; le brouillard dort immobile sur toutes les plaines ; les oiseaux ne chantent pas en-