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MÉDITATIONS


Chantons, puisque mes doigts sont encor sur la lyre ;
Chantons, puisque la mort, comme au cygne, m’inspire
Au bord d’un autre monde un cri mélodieux.
C’est un présage heureux donné par mon génie :
Si notre âme n’est rien qu’amour et qu’harmonie,

Qu’un chant divin soit ses adieux !


La lyre en se brisant jette un son plus sublime ;
La lampe qui s’éteint tout à coup se ranime,
Et d’un éclat plus pur brille avant d’expirer ;
Le cygne voit le ciel à son heure dernière :
L’homme seul, reportant ses regards en arrière,

Compte ses jours pour les pleurer.


Qu’est-ce donc que des jours pour valoir qu’on les pleure ?
Un soleil, un soleil, une heure, et puis une heure ;
Celle qui vient ressemble à celle qui s’enfuit ;
Ce qu’une nous apporte, une autre nous l’enlève :
Travail, repos, douleur, et quelquefois un rêve,

Voilà le jour ; puis vient la nuit.


Ah ! qu’il pleure, celui dont les mains acharnées
S’attachant comme un lierre aux débris des années,
Voit avec l’avenir s’écouler son espoir !
Pour moi qui n’ai point pris racine sur la terre,
Je m’en vais sans effort, comme l’herbe légère

Qu’enlève le souffle du soir.


Le poëte est semblable aux oiseaux de passage,
Qui ne bâtissent point leurs nids sur le rivage,
Qui ne se posent point sur les rameaux des bois :
Nonchalamment bercés sur le courant de l’onde,
Ils passent en chantant loin des bords, et le monde

Ne connaît rien d’eux que leur voix.